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LES VOYAGEUSES AU XIXe SIÈCLE

se déchirait les mains et les pieds en tombant sur les pierres des étroits ravins qu’il fallait franchir. On se sent rempli d’admiration devant l’énergie de cette femme résolue, qui persistait à continuer sa route quoique les difficultés allassent croissant. En avançant, elle remarqua que les arbres fruitiers disparaissaient, et que les pentes étaient couvertes d’arbustes tellement touffus, que l’on avait peine à s’y frayer un chemin. En huit heures, marchant, nageant ou grimpant, elle avait franchi une distance d’environ trente kilomètres, et atteint une élévation de six mille mètres. Le lac n’est visible que lorsqu’on arrive sur ses bords, car il est tout au fond d’une sorte de cratère dominé par des montagnes vertes et escarpées, qui descendent à pic dans ses eaux sombres. Quant à la traversée, il faut la faire à la nage, ou se confier à un fragile bateau que les naturels construisent sur-le-champ avec une extraordinaire rapidité. Ce n’était pas l’audace qui manquait à Ida Pfeiffer, et, sur son ordre, le guide arracha plusieurs troncs de bananiers, qu’il lia ensemble avec des herbes et recouvrit de feuilles ; alors il mit ce radeau à flot et engagea Mme Pfeiffer à s’y embarquer. Elle avoue qu’elle eut une légère hésitation mais elle aurait eu honte de la laisser voir, et monta « à bord » sans mot dire. Son guide entra dans l’eau comme un canard, et poussa le singulier esquif, qui fit cependant la traversée du lac, aller et retour, sans accident.

Après avoir, du sommet de la montagne, contemplé longuement le lac et ses environs, elle redescendit par le même sentier jusqu’à un endroit abrité, où le guide construisit un toit de feuillage et alluma du feu en frottant deux morceaux de bois qui ne tardèrent pas à s’enflammer, et qu’il jeta dans un tas d’herbes sèches. Une flamme brillante jaillit ; Mme Pfeiffer sécha ses habits transpercés, et fit un maigre souper de bananes grillées ; puis elle se coucha sur un amas de feuilles, et s’efforça d’y dormir de son mieux. La nuit se passa sans accident, et, le lendemain, elle refit pour le retour le même pénible trajet.

Le 17 mai, elle quitta Tahiti, le navire hollandais où elle avait pris passage repartant pour les Philippines. Ils abordèrent le 1er juillet à ce merveilleux groupe d’îles, et dès le lendemain ils entraient dans la dangereuse mer de la Chine. Bientôt ils arrivèrent à Hong-Kong, qui, depuis 1842, était devenu une dépendance anglaise. Mais Mme Pfeiffer voulait voir les Chinois chez eux ; et, malgré les conseils qu’on lui donna, car la Chine était encore fermée aux Européens, elle prit ses