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MADAME IDA PFEIFFER

dans la lutte ; la courageuse femme fit un effort pour saisir le couteau du nègre qui venait de tomber à terre ; il la repoussa, et, reprenant son arme, lui porta deux coups furieux dans le bras gauche. Elle se crut perdue, et de désespoir chercha à faire usage de son propre couteau, dont elle réussit à blesser grièvement l’agresseur à la main, tandis que le comte, blessé lui-même, saisissait le meurtrier par derrière et permettait à Mme Pfeiffer de se relever. Tout cela se passa en moins d’une minute. Le nègre grinçait des dents comme une bête féroce ; il brandissait son couteau, et la lutte inégale se serait probablement terminée par la mort des deux voyageurs si des pas de chevaux ne s’étaient fait entendre. Le nègre s’enfuit aussitôt ; deux cavaliers étant apparus au détour de la route et ayant entendu le récit des victimes, que leurs blessures confirmaient trop éloquemment, se jetèrent dans la forêt à la poursuite du meurtrier et le ramenèrent avec l’aide de deux autres nègres, l’accablant de tant de coups, que Mme Pfeiffer avait peur de voir le crâne du misérable se briser. Elle apprit plus tard le motif de cette agression : l’esclave, châtié pour quelque délit, voulait se venger des blancs, et s’était imaginé qu’il pouvait le faire avec impunité en attaquant ces voyageurs isolés.

Les beautés de la nature tropicale impressionnèrent vivement Mme Pfeiffer. En faisant une de ses excursions, elle s’enfonça dans les profondeurs de la forêt vierge, suivant un étroit sentier qui longeait les rives d’un cours d’eau. De majestueux palmiers élevaient leur couronne au-dessus des autres arbres, qui entrelaçaient leurs inextricables branches, formant les plus délicieux bosquets ; chaque tige, chaque rameau était enguirlandé de fantastiques orchidées, qui faisaient de vraies murailles de fleurs où voltigeaient des oiseaux inconnus à nos pays. Il lui semblait être dans un parc de fées. Accompagnée d’un seul guide, elle se risqua même jusque dans les villages indigènes, y dîna de rôti de singe, qu’elle déclare excellent, et passa la nuit au milieu des Indiens sans la moindre frayeur.

De Rio-Janeiro, Mme Pfeiffer s’embarqua pour Valparaiso sur un bâtiment anglais. En descendant vers le sud, le navire toucha à Santos, où les voyageurs célébrèrent la nouvelle année, et atteignit le 11 janvier l’embouchure de la Plata. Dans ces latitudes, la constellation de la Croix du Sud resplendit au ciel et sert de point de repère pour le regard. Vers la fin du mois, Mme Pfeiffer voyait les rochers stériles et les montagnes nues de la Patagonie, les rocs volcaniques, battus des vents et usés par les vagues, de la Terre-de-Feu. Par le détroit de