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LES VOYAGEUSES AU XIXe SIÈCLE

peuvent contenir plus de deux voyageurs, deux rameurs et un pilote, et où les premiers sont obligés de se coucher au fond pour ne pas faire chavirer le bateau. Le Muonio fait la limite de la Finlande suédoise ; les premières villes finlandaises qu’on rencontre prouvent qu’on a changé de pays ; les maisons sont propres, presque élégantes, et ressemblent à des chalets suisses, quoique les populations soient encore très pauvres. Mme d’Aunet reçut l’hospitalité dans une de ces métairies finlandaises. Sur le seuil, une vieille femme sèche et droite la fit entrer de bonne grâce, et lui offrit du lait et une place sous le manteau de la vaste cheminée. La pièce était large, dallée de pierre, les murs blanchis à la chaux, point de plafond, et de gros écheveaux de chanvre pendant aux solives de la toiture. Sur des planches étaient posés des vases de bouleau et des jattes de bois vernissé à fleurs peintes qui viennent de Russie. Une table de sapin et quelques gros escabeaux meublaient la salle, et dans la cheminée six grosses bûches flambaient gaiement. Une robuste jeune fille blonde tissait au métier une grosse étoffe de laine fort originale, à large raies de couleurs éclatantes. Le jour tombant, elle prit des bûchettes de sapin longues et minces, les fit entrer en faisceaux dans des anneaux de fer attachés à la muraille, et alluma ces torches d’un nouveau genre, à la lueur desquelles elle continua adroitement son travail. Cet éclairage vacillant produit les plus singuliers effets de lumière ; en outre, il badigeonne de fumée le haut des murailles, et les chambres sont mi-parties noires et blanches, ce qui leur donne un aspect très étrange. Les hommes de la ferme étant rentrés, Mme d’Aunet partagea le repas de la famille.

Les Finlandais forment une race à part qui n’a rien de commun avec les Lapons ; grands, blonds, la peau très blanche, ils sont forts et vigoureux, d’un caractère paisible, loyal et reconnaissant ; presque tous laboureurs ou pêcheurs, ils ont des habitudes d’ordre et de travail, et sont même relativement instruits. Leur langage et leurs mœurs ont conservé leur originalité, mais ils ont abandonné leurs anciens et curieux costumes ; seulement, pour les grandes fêtes et surtout pour les noces, on voit reparaître les habits d’autrefois : la fiancée porte une couronne d’or, une robe brodée, ses cheveux flottent sur ses épaules, et toute sa personne est chargée de bijoux d’or et d’argent.

Enfin, arrivée à Haparanda, Mme d’Aunet retrouva une auberge et un lit, bien-être qui depuis plusieurs semaines lui était inconnu.