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LES VOYAGEUSES AU XIXe SIÈCLE

miracles de soins, elles arrivaient à faire éclore quelques fleurs, dont les Norvégiennes ont toutes la passion. Mme d’Aunet raconte que si la présence d’une Parisienne était déjà chose assez rare à ce degré de latitude, il y avait cependant dans la maison quelque chose de plus rare et de plus étrange encore : un perroquet ! Mais un perroquet chauve, muet, paralysé par le froid, et qui ne s’éveillait qu’en voyant briller le soleil, « cinq ou six fois par an tout au plus. »

« À peu de distance de Havesund, à la pointe de l’île de Mageroë, on aperçoit une énorme masse de rochers ayant quelque ressemblance avec une tour carrée colossale demi-ruinée c’est le cap Nord ! »

Le 17 juillet, l’expédition à laquelle se joignaient Mme d’Aunet et son mari quitta Hammerfest, et le 31 ils arrivaient à la baie Madeleine, au Spitzberg, but de ce voyage. « Une flottille d’îles de glace entourait la corvette et couvrait la mer à perte de vue. Ces glaces du pôle, qu’aucune poussière n’a souillées, aussi immaculées aujourd’hui qu’aux premiers jours de la création, sont teintes des couleurs les plus vives. On dirait des rochers de pierres précieuses : c’est l’éclat du diamant, les nuances éblouissantes du saphir et de l’émeraude, confondues dans une substance inconnue et merveilleuse. Ces îles flottantes, sans cesse minées par la mer, changent de forme à chaque instant ; par un mouvement brusque, une aiguille se transforme en un champignon, une colonne imite une immense table, une tour se change en escalier, tout cela si rapide et si inattendu, qu’on songe malgré soi à quelque volonté surnaturelle présidant à ces transformations subites. Du reste, au premier moment il me vint à l’esprit que j’avais sous les yeux les débris d’une ville de fées, détruite tout à coup par une puissance supérieure et condamnée à disparaître sans laisser même de vestige. Je voyais se heurter autour de moi des morceaux d’architecture de tous les styles et de tous les temps. On se représente, n’est-ce pas ? ce lieu, où tout est froid et inerte, enveloppé d’un silence profond et lugubre. Eh bien ! c’est tout le contraire qu’il faut se figurer. Rien ne peut rendre le formidable tumulte d’un jour de dégel au Spitzberg.

« La mer, hérissée de glaces aiguës, clapote bruyamment ; les pics élevés de la côte glissent, se détachent et tombent dans le golfe avec un fracas épouvantable ; les montagnes craquent et se fendent, les vagues se brisent furieuses contre les caps de granit ; les îles de glace, en se désorganisant, produisent des pétillements semblables à des décharges de mousqueterie ; le vent soulève des tourbillons de neige