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LES VOYAGEUSES AU XIXe SIÈCLE

noire brochée de vert, garni d’une dentelle d’argent, et une pièce d’estomac en drap rouge brodée de perles et de clinquant, avec quantité de bouffettes de petits rubans et de dentelles d’argent.

La cathédrale de Drontheim, dédiée à saint Olaf, l’un des saints de la Norvège, est un admirable monument gothique, qui depuis la réforme a été mutilé et appauvri. Mme d’Aunet visita aussi la vieille citadelle de cette ville, bâtie dans un îlot de rochers où l’on a élevé un phare duquel on découvre un splendide horizon. « À gauche, la grande mer déroule ses larges plaines et adoucit ses teintes azurées jusqu’à ce qu’elles se confondent avec le ciel, tandis qu’à droite les pilotis des maisons de Drontheim, peints de couleurs vives, lui font une ceinture à raies bariolées ; derrière le port, les petits toits écrasés de la ville s’échelonnent sur des pentes pittoresques, protégés par la cathédrale et par le large vaisseau de la forteresse de Christianstern, au loin, les crêtes aiguës des montagnes du Dovre déchirent çà et là leur rideau de nuages, et forment comme les créneaux de l’immense muraille de rochers qui entoure le vallon de Drontheim. »

Le trajet de Drontheim à Hammerfest, la ville la plus septentrionale de l’Europe, se fait en bateau à vapeur. Le passage de ce bateau, pendant l’été, est une distraction et une fête pour tous les petits ports auxquels il touche ; il leur apporte des nouvelles du monde, dont le terrible hiver les sépare entièrement pendant neuf mois. Sur ce bateau Mme d’Aunet remarqua un jeune homme pâle et silencieux, qui emportait avec des précautions infinies un petit bouquet de roses et de géraniums. Un hasard l’ayant amenée à lui parler, il lui expliqua que ce bouquet était pour sa mère, une Anglaise, « qui n’avait pas vu de roses depuis dix ans, » et à qui ces précieuses fleurs allaient rappeler « son beau pays, où il fait chaud, où il y a des rosiers en pleine terre ». Pour ce Norvégien, l’Angleterre c’était le Midi.

Les maisons d’Hammerfest sont en bois, le froid faisant fendre la pierre. Le port a la forme d’un croissant, qu’entourent de hautes et noires montagnes d’où chaque année, au dégel, d’énormes quartiers de roc roulent au milieu de la ville. Mme d’Aunet y eut pour la première fois la surprise du soleil de minuit. À Hammerfest, en effet, il y a réellement trois mois de jour et trois mois de nuit. Pendant l’été, les navires arrivent en assez grand nombre dans ce petit port, y apportant tout ce qui est nécessaire à la vie. Des barques de peaux de phoques, montées par d’étranges rameurs, apparaissent aussi ; ce sont des Lapons, qui viennent trafiquer avec les Russes du produit de leur