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MADAME HOMMAIRE DE HELL

étudiait les poètes français, Lamartine surtout, avec enthousiasme, et sa grande ambition était alors de visiter la France, ne se doutant guère qu’elle appartiendrait un jour à ce pays par son mariage avec Edgar Quinet.

Dans les steppes du Caucase, la vie de Mme de Hell avait été singulièrement calme ; en Moldavie, elle fut agitée et troublée par une foule d’obligations mondaines réceptions officielles, bals, concerts, spectacles, et les mille et une chaînes de la société. Fatiguée de ce cercle monotone de prétendus plaisirs, elle retournait souvent avec regret, par la pensée, dans ses chères solitudes de la mer Caspienne. Cependant l’événement qui lui rendit sa liberté lui apporta de vives inquiétudes. Son mari fut atteint des fièvres dangereuses du Danube, et, pour recouvrer la santé, il dut rompre l’engagement qu’il avait contracté et rentrer immédiatement en France, après plusieurs années de travaux et d’explorations incessantes.

À leur arrivée, tous deux obtinrent l’accueil que méritaient leurs recherches patientes et leurs infatigables efforts. Tandis que le jeune et déjà célèbre ingénieur était récompensé par la croix de la Légion d’honneur, sa femme, qui avait partagé tous ses travaux et ses périls, et collaboré à son grand ouvrage sur les Steppes de la mer Caspienne (publié en 1845), dont les deux volumes de partie descriptive ont été entièrement écrits par elle, reçut de M. Villemain, alors ministre de l’instruction publique, des témoignages d’estime spéciale. Peu après son retour, elle donna au public un volume de poésies, intitulé Rêveries d’un voyageur.

Dès 1848, ils repartaient pour l’Orient ; mais la santé de Mme de Hell l’obligea à rester à Constantinople, pendant que son mari allait remplir en Perse une mission à laquelle sa mort vint brusquement mettre un terme ; il mourut à Ispahan, en 1848. Sa veuve revint à Paris, écrasée sous sa douleur, et n’ayant d’autre désir que de rejoindre celui qu’elle avait profondément aimé. Mais elle avait une intelligence trop élevée et une âme trop énergique pour ne pas sentir bientôt qu’il lui restait des devoirs en ce monde ; il lui fallait élever ses enfants et surveiller la publication des travaux importants qu’avait laissés son mari. Elle-même écrivit plusieurs articles sur l’Orient dans divers journaux. En 1856, elle publia son récit personnel de leur voyage dans les steppes du Caucase. De grands changements politiques sont survenus dans ces régions depuis le séjour qu’y fit Mme de Hell, et y ont profondément altéré l’état des choses et le caractère des popu-