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MADAME HOMMAIRE DE HELL

couverte de véhicules de toute sorte, de cavaliers et de piétons se rendant en foule à la grande foire de Stavropol, et on y voyait toutes les variétés de types des peuplades du Caucase : Circassiens, Cosaques, Turcomans, Tartares, Géorgiens ; les uns, en brillants costumes, caracolant sur leurs superbes chevaux persans ; d’autres, entassés avec leurs familles dans des charrettes couvertes de peaux ; d’autres, poussant devant eux d’immenses troupeaux de moutons et de porcs, en conduisant gravement une file de chameaux chargés de marchandises. Mme de Hell remarqua particulièrement un jeune chef circassien monté sur un cheval richement caparaçonné, qui ne quittait pas une pavosk ou litière d’une grande élégance, dont les rideaux étaient baissés. Cette litière éveilla sa curiosité, et suffisait dans ce pays étrange pour suggérer à une imagination vive un roman complet. À l’auberge encombrée où ils descendirent à Stavropol, ils rencontrèrent de nouveau le Circassien et virent apporter, avec des précautions infinies, une jeune femme tout enveloppée de voiles blancs et qui semblait mourante. Ceux qui l’accompagnaient lui prodiguaient les témoignages du plus profond respect. Tout ce que Mme de Hell put obtenir par ses questions aux gens de l’auberge, qui n’en savaient pas beaucoup plus qu’elle, c’est que cette jeune femme était venue à Stavropol consulter un célèbre médecin sur son état, qui laissait peu d’espoir ; elle n’en apprit pas davantage sur cette mystérieuse vision, qui avait éveillé vivement sa curiosité.

De Stavropol, ville fort agréable et animée par une de ces grandes foires qu’on retrouve fréquemment en Orient, M. et Mme de Hell se dirigèrent vers le Don avec une rapidité à donner le vertige ; le steppe étant uni comme un miroir, ils firent ainsi en poste près de trois cent seize verstes en vingt-deux heures. La chaleur était très forte, le ciel limpide, et partout voltigeaient un grand nombre de fils de la Vierge, qui couvraient tous les objets d’un léger voile de soie. Ce fut ainsi, dormant et mangeant dans la voiture, qu’ils atteignirent la rive du Don, où toutes les tribulations possibles les attendaient. À dix heures du soir, comme ils approchaient du fleuve, ils apprirent que le pont était en très mauvais état, et qu’il faudrait attendre le jour pour le traverser. Ce délai contraria leur impatience, d’autant qu’ils avaient en perspective bon gîte et bon lit chez un de leurs amis, à Rostof, pour le soir même. Une autre raison qui les pressait était un subit refroidissement de la température. Sourds à toutes les remontrances, ils continuèrent leur chemin et arrivèrent au pont, dont le mauvais