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LES VOYAGEUSES AU XIXe SIÈCLE

aigu vibrait dans l’espace ; et, bien au-dessus de tout cela, l’idée que nous étions dans le pays des Kalmouks, avaient produit en moi une excitation fébrile qui me tint constamment éveillée.

Au point du jour, mes yeux se tournèrent ardemment vers le Volga, qui resplendit bientôt sous les teintes éclatantes du soleil levant. Avec quel sentiment d’enthousiasme et même d’orgueil j’envisageai alors ce beau fleuve, qui déroulait devant nous son cours tranquille et majestueux, ses méandres, et la multitude de ses îlots couverts d’aunes et de trembles, coupés de mille canaux ! De l’autre côté du Volga s’étendaient à perte de vue les immenses steppes où campent les Khirghises, et dont la ligne, à l’horizon, était aussi unie que celle de l’Océan. Il eût été difficile d’imaginer un spectacle plus grandiose, plus en harmonie avec l’idée qu’éveille le Volga, auquel son cours de six cents lieues assigne le premier rang parmi les grandes rivières d’Europe. »

Assurément c’était tourner le dos à la monotonie de la vie quotidienne que de s’embarquer sur le Volga pour Astrakan, la belle ville perdue au milieu de tristes dunes de sable dont le moindre vent change l’aspect, et dont aucun bruit, aucun mouvement ne trouble la solitude, si ce n’est de temps à autre des troupes de chameaux venant s’abreuver au fleuve. Aussi quel fut leur ravissement lorsqu’elle apparut tout d’un coup, avec ses églises, ses coupoles, ses forts en ruines ! « Située dans une île du Volga, ses alentours ne sont pas, comme ceux des grandes cités, couverts de villages et de cultures ; elle est seule, entourée de sable et d’eau, tout orgueilleuse de sa souveraineté sur ce beau fleuve, et du nom gracieux d’Étoile du désert dont l’a baptisée la poétique imagination des Orientaux. »

Ce qui refroidit leur enthousiasme fut la difficulté de s’y loger. Heureusement une charmante Polonaise leur ouvrit sa maison, et Mme de Hell saisit cette occasion pour remarquer qu’elle a toujours retrouvé chez les Polonais cette sympathie pour tout ce qui est français. Elle et son mari profitèrent de leur séjour pour aller rendre visite à un prince kalmouk qui habitait dans le voisinage.

« L’îlot qui appartient au prince Tumène se trouve complètement isolé au milieu du fleuve ; à le voir de loin baigné par les vagues, on dirait un nid de verdure n’attendant qu’un souffle pour s’abandonner au cours rapide du Volga. À mesure qu’on avance, la plage se déroule, les arbres se groupent, le palais du prince laisse apercevoir une partie de sa blanche façade et les galeries à jour de ses tourelles. Tout paraît