Page:Chevalier - Les voyageuses au XIXe siècle, 1889.pdf/36

Cette page a été validée par deux contributeurs.
26
LES VOYAGEUSES AU XIXe SIÈCLE

de Hell, l’emmena dans sa propriété de Kherson et le mit à l’œuvre. Pendant qu’il exécutait ce travail, M. de Hell conçut l’idée d’une exploration scientifique du bassin de la mer Caspienne, fort peu connue alors des géographes ; et cette idée s’empara si fortement de son esprit, que quelques mois plus tard il renonça à sa position pour la réaliser. Dans une de ses excursions aux cataractes du Dniéper, où devaient s’élever les moulins, ses connaissances géologiques lui firent découvrir une riche mine de fer qui a été depuis exploitée avec succès.

« Cette période de ma vie, écrivait plus tard Mme de Hell, passée au milieu des steppes, loin de toutes les villes, m’apparaît à présent sous un jour si calme, si doux et si serein, que le moindre incident qui m’en fait souvenir m’émeut profondément. Rien que pour revoir la côte où nous passions des jours entiers à chercher des coquilles, rien que pour entendre le son des grandes vagues roulant sur le sable et les algues, rien que pour retrouver une seule des impressions de cette époque heureuse, je referais volontiers le voyage. »

M. de Hell fit, pendant l’hiver de 1838, des préparatifs considérables pour sa grande expédition scientifique, et, ayant obtenu du comte Worontzow, gouverneur de la Russie méridionale, des lettres pressantes de recommandation pour les fonctionnaires de toutes les provinces qu’il aurait à traverser, il partit avec sa femme au mois de mai 1839, accompagné d’un Cosaque et d’un excellent drogman qui parlait tous les dialectes de ces contrées. Ce n’était pas sans peine que Mme de Hell avait triomphé des hésitations de son mari à lui faire partager les fatigues de cet aventureux voyage, et elle en éprouvait une joie facile à comprendre, surtout chez une femme de vingt ans. « Tous les récits des voyageurs célèbres me revenaient à l’esprit, et je me répétais avec un certain orgueil que moi, une femme, une Parisienne, j’allais à mon tour explorer de lointaines contrées. Chose bizarre ! prouvant bien ma vocation voyageuse, tout ce qui aurait épouvanté la plupart des femmes était précisément ce qui me charmait le plus dans la perspective de ce voyage, et l’énumération que me faisait mon mari des fatigues extrêmes, des privations, voire des dangers que nous aurions à essuyer, n’avait d’autre résultat que d’augmenter mon impatience de partir. »

Le début devait être encourageant, car jusqu’au Volga M. et Mme de Hell voyageaient en poste, à travers ces steppes que le printemps russe revêt d’un charme indéfinissable. Ils restaient encore au sein