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LADY HESTER STANHOPE

situation une femme dont la puissante intelligence aurait pu être appliquée au bien de ses semblables. Il est impossible de ne pas se dire que sa vie fut une vie manquée et inutile.

Après sa mort, le major Élias Warburton fit une visite à ce lieu qu’elle avait habité si longtemps. Il décrit les bâtiments qui composaient le palais à peu près comme Lamartine ; l’ensemble lui en parut irrégulier et confus, couvrant un vaste espace, mais n’ayant qu’un étage de haut. Des herbes folles grimpaient le long des portails ouverts ; un rideau de roses et de jasmin barrait l’entrée de la cour intérieure, où les fleurs ne s’épanouissaient plus et où les fontaines avaient cessé de jaillir dans leurs bassins de marbre. À la tombée de la nuit, les hommes de l’escorte du major allumèrent leurs feux de veille, dont la lueur rougeâtre éclairait d’une manière étrange les massifs d’aubépine et de chèvrefeuille, les murs blancs et dégradés, et les arbres sombres que le vent agitait au-dessus d’eux. Ce tableau était complété par le groupe de sauvages montagnards, aux longues barbes et aux habits éclatants, qui se pressaient autour de la flamme joyeuse. Le lendemain, le major Warburton explora les jardins. « Tonnelles et treilles brisées s’effondraient sous des masses luxuriantes de fleurs, montrant quels avaient été jadis les soins prodigués à cette belle et sauvage retraite ; un kiosque, entouré d’un parterre de rosiers qui poussaient maintenant à leur guise, s’élevait au milieu d’un bosquet de myrtes et de lauriers. C’était, pendant sa vie, le coin favori de lady Hester, et c’est dans cette silencieuse enceinte qu’elle repose paisible, après le fiévreux rêve de l’existence. »

Il est pénible de penser au lamentable abandon dans lequel elle mourut. M. Moore, le consul anglais de Beyrouth, ayant appris sa maladie, traversa les montagnes pour venir la visiter, accompagné d’un missionnaire américain, M. Thompson. Ils arrivèrent à la nuit ; le silence régnait dans le palais ; personne ne vint au-devant d’eux. Ils allumèrent eux-mêmes leurs lampes dans la cour extérieure et atteignirent, sans rencontrer un seul serviteur dans les cours ni les galeries, la chambre où ils la trouvèrent… morte. Un cadavre était l’unique habitant du palais, et cet éloignement de ses semblables, qu’elle avait cherché, était cette fois absolu. Le matin même, trente-sept domestiques obéissaient à son moindre coup d’œil ; mais aussitôt que la mort eut fermé ces yeux dont ils redoutaient le regard, chacun s’enfuit avec sa part de pillage. Une petite fille, qu’elle avait élevée et adoptée, prit des bijoux et quelques papiers auxquels sa