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LES VOYAGEUSES AU XIXe SIÈCLE

les faits à un point de vue tout à fait différent de celui auquel il se serait placé. Il est incontestable que lady Barker a accru d’une façon intéressante les données répandues sur l’Afrique méridionale. Elle arriva au Cap en 1875, accompagnant son mari, qui avait été désigné pour un poste important à Natal. Après un bref repos ils se rembarquèrent et suivirent la côte jusqu’au petit port d’East-London, puis à Port-Durban, où ils descendirent et firent, péniblement secoués dans des chariots traînés par des mules, les cinquante-deux milles qui s’étendaient entre ce dernier endroit et leur destination, Maritzburg. Pendant son séjour, lady Barker mit le temps et les circonstances consciencieusement à profit pour étudier les mœurs et les habitudes des Zoulous et des Cafres, esquisser leurs portraits, interviewer des sorciers, explorer les sites de l’intérieur et accomplir une expédition dans le Bush. Le résultat est un livre de trois cents pages, dont l’intérêt ne se ralentit pas un instant. Nous n’en donnerons qu’un échantillon, le portrait d’une fiancée cafre.

« Elle était extrêmement gracieuse et avait une des plus charmantes figures imaginables. Les traits réguliers, le visage ovale, les dents éblouissantes et la délicieuse expression n’étaient nullement gâtés par sa peau d’un noir de jais. Les cheveux étaient relevés au-dessus de la tête comme une tiare, teints en rouge et ornés d’une profusion d’osselets ; un bouquet de plumes était planté coquettement sur une oreille, et une bande de broderie en perles semée de clous d’acier placée comme un filet à la naissance des cheveux, très bas sur le front. Elle avait une jupe ou plutôt une série de tabliers de peaux de lynx, une sorte de corset de peau de veau, et, drapé sur ses épaules avec une ineffable grâce, un tapis de table aux gaies couleurs ; des fils de verroteries entouraient son cou et ses bras délicatement modelés, et un beau ruban écarlate était noué très serré autour de ses chevilles. Tout le reste de la société semblait extraordinairement fier de cette jeune personne et fort désireux de la mettre en avant. Les autres femmes, pour la plupart assez laides et usées par le travail, ne jouèrent, en effet, d’autre rôle dans la visite que celui du chœur des tragédies grecques, toujours en exceptant le vieux luduna, ou ancien du village, qui les accompagnait et était responsable de la bande. C’était un bavard des plus divertissants, qui abondait en anecdotes et en réminiscences de sa jeunesse guerrière. Il avait plus de franchise que la majorité des héros en racontant leurs hauts faits, car la conclusion habituelle de ses his-