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LES VOYAGEUSES ANGLAISES

tout à coup à ce qui nous parut un énorme précipice béant sous nos pieds. Tout au fond ondulaient des masses de feuillages, les têtes d’une forêt entière de gommiers qui couvrait toute la vallée. Nous la dominions d’une si grande hauteur, que les arbres nous paraissaient absolument immobiles, faisant sous ce splendide soleil un merveilleux tapis teinté de rouge et de rose, dont les ombres jetées en passant par les nuages variaient incessamment le coloris. À l’extrémité supérieure de la vallée, vers l’ouest, les murailles s’abaissaient un peu de chaque côté ; une cascade tombait sur les rochers d’une hauteur de quatre cents mètres ; mais cette cascade, que nous apercevions obliquement de très loin, nous paraissait suivre une pente si douce, qu’il nous semblait voir des plumes blanches et floconneuses flotter lentement dans l’air en descendant vers le sol. Arrivé là, le cours d’eau disparaissait à nos yeux parmi d’énormes pierres, et si, dans cette saison de sécheresse, il continuait néanmoins sa route, cette route nous était cachée par l’épaisseur de la forêt. Si nous nous tournions vers le midi, nous voyions s’élever perpendiculairement des rochers bruns, gris et jaunes, dont le soleil fondait les tons dans une délicieuse harmonie de couleurs ; et la vallée était si large, qu’une chute d’eau sur le mur du rocher en face de nous nous faisait l’effet d’un mince fil d’argent. Au delà, la vallée se prolongeait dans la direction du sud, jusqu’à ce qu’elle fût close par des rangées de collines d’un bleu ravissant, indigo ou cobalt, selon les rayons de soleil ou l’ombre des nuages. Sans le vague murmure de l’eau courante et du vent dans les arbres, ce lieu eût été absolument silencieux, comme il était presque dépourvu de toute vie animale. Un ou deux oiseaux et quelques inoffensifs lézards qui coururent sur nos robes, pendant qu’assises à terre nous essayions d’esquisser le paysage, en représentaient tous les habitants.»

Lady Barker possède un talent expérimenté, et ses livres de voyages en sont une preuve de plus : Une Femme du monde à la Nouvelle Zélande [1] et Une Femme du monde au pays des Zoulous, etc. Il est impossible de trouver une lecture plus agréable ; les esquisses sont vives, les observations judicieuses, le style facile et animé par une spirituelle gaieté. Lady Barker voit les choses en femme, et ce n’est pas un des moindres charmes de ses livres, car elle fait beaucoup de remarques auxquelles un homme n’aurait jamais songé, et considère

  1. Chez Firmin-Didot. (Bibl. des mères de famille.)