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LES VOYAGEUSES AU XIXe SIÈCLE

et par les nombreuses pages que l’auteur avait consacrées aux superstitions populaires et aux antiques monuments de ces contrées. Ses tableaux de l’Himalaya, de la vie dans le Thibet, des mœurs des Indous ; ses descriptions de Bénarès, d’Hurdwar et d’Agra, étaient assez brillants et assez vifs pour révéler un talent plus qu’ordinaire. Miss Gordon Cumming se dirigea ensuite vers l’océan Pacifique et passa deux ans dans sa « maison de Fijii[1] », deux années qu’elle employa à rassembler une foule d’intéressants matériaux. Elle se préparait en 1880 à regagner l’Angleterre, quand l’occasion lui fut offerte d’effectuer une partie du voyage d’une manière tout imprévue, et qui devait charmer ses goûts aventureux. Un vaisseau français, le Seignelay, qui transportait un évêque catholique en visites pastorales dans son immense diocèse océanien, aborda à Fijii, et les officiers, ayant fait la connaissance de miss Cumming, l’invitèrent avec courtoisie à les accompagner pendant le reste de leur croisière. La proposition était aussi originale qu’agréable, et il n’était pas moins original de l’accepter. On arrangea une jolie petite cabine pour son usage, et elle s’installa à bord du Seignelay sous la protection du bon évêque[2].

De Figii le Seignelay la conduisit à Tonga, dans les îles des Amis, où miss Cumming trouva dans les usages de la population et les antiquités insulaires de nombreux sujets d’intérêt pour elle et ses lecteurs. Comme on pouvait s’y attendre, tout ce qu’il y avait jadis de pittoresque dans l’existence indigène disparaît rapidement devant l’invasion de la civilisation européenne ; aussi pouvons-nous être reconnaissants envers les voyageurs qui en saisissent les dernières traces et les conservent aussi fidèlement que possible dans leurs écrits. Les principales curiosités archéologiques sont les tombes des antiques rois de Tonga, monuments cyclopéens faits d’énormes blocs volcaniques, qui paraissent avoir été apportés des îles Wallis dans des canots et entassés à leur place actuelle avec une dépense inouïe de travail humain. Le grand dolmen solitaire, encore absolument intact, est à peine moins remarquable, quoique la tradition elle-même ne nous apprenne rien de son origine ; mais on peut supposer qu’il marque le lieu de repos d’un héros ou d’un grand chef, par ce fait qu’il y a peu d’années encore une vaste tente se dressait sur la pierre transversale du dolmen, et qu’on y célébrait des festins. De

  1. At home in Fijii, by Miss Gordon Cumming.
  2. A Lady’s cruise, in a French man-of-war, id.