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LES VOYAGEUSES AU XIXe SIÈCLE

cimes, semblent nous ouvrir les portes d’un autre monde ces ombres changeantes qui les colorent sont des reflets d’ailes d’anges ; ces voix mystérieuses que se renvoient leurs échos, appartiennent à cette divine harmonie qui s’élève sans cesse autour du trône de Dieu

Nous raconterons également quelques-unes des aventures de miss Bird, qui, chose utile à dire, avait le courage d’un homme et ne manquait jamais d’énergie ni de résolution. On fait d’étranges rencontres dans les montagnes Rocheuses, et dans une de ses courses solitaires, elle se vit rejointe par un cavalier qui ressemblait à un vrai héros de mélodrame. Il faisait un effet des plus pittoresques sur son solide cheval ; ses longs cheveux blonds s’échappant de dessous un chapeau à larges bords, lui tombaient presque jusqu’à la taille ; il avait une belle barbe, des yeux bleus francs et honnêtes, le teint coloré et les façons les plus polies et les plus respectueuses. Son costume de chasseur en peau de daim était orné de perles de couleur et complété par d’énormes éperons de cuivre ; sa selle était surchargée d’ornements divers. Ce qui attirait particulièrement l’attention dans son équipement était le nombre de ses armes, un véritable arsenal. Deux revolvers et un couteau étaient enfoncés dans sa ceinture, une carabine jetée en travers de ses épaules, et en outre il avait un rifle attaché à sa selle et une paire de pistolets dans les fontes. Ce martial personnage était Bill Comanche, un des plus célèbres desperados des montagnes Rocheuses et le plus grand exterminateur d’Indiens de toute la frontière. Son père et toute sa famille avaient été massacrés par les sauvages, qui avaient emmené sa sœur, une enfant de onze ans. Depuis lors il avait voué son existence à la double tâche de venger les victimes et de chercher cette sœur perdue.

Une autrefois, en quittant Golden-City (la Cité d’Or), lieu qui tous les jours et à toute heure donnait le démenti à ce nom pompeux, miss Bird perdit son chemin en pleine prairie. Un charretier lui dit de continuer en avant jusqu’à un endroit où elle verrait trois pistes et de prendre la plus foulée, en marchant toujours dans la direction de l’étoile polaire. Elle suivit ces indications et trouva bien les trois pistes ; mais la nuit était devenue si profonde, qu’elle ne pouvait rien voir, et, l’obscurité augmentant, elle en arriva à ne plus même distinguer les oreilles de son cheval. Cette fois elle était bien complètement égarée, sans moyen de sortir d’embarras. Pendant des heures