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LES VOYAGEUSES AU XIXe SIÈCLE

les tonneaux, et les prémices des vendanges géorgiennes servent aux libations qui accompagnent le repas consacré. N’y a-t-il pas là comme un vieux souvenir des offrandes en usage dans l’antiquité ? »

Dans les villes, au contraire, l’habitant a mêlé à ces vieilles coutumes bien des nouveautés qui plaisent à son humeur gaie et insouciante. Le Géorgien est le Parisien du Caucase. Au festin succède la danse, et la gaieté la plus franche et la plus cordiale ne cesse pas de régner.

« Tout le personnel domestique du logis, ainsi que les gens qui, d’après l’usage, accompagnent les personnes invitées, se place contre la muraille et scande de ses battements de mains les pas de l’orchestre. La scène a vraiment du caractère : types, costumes, allures, on ne saurait rien voir de plus pittoresque. Hommes et femmes, en ce pays, ont un talent spécial pour cet art, quoique les danses nationales du Caucase n’en soient pourtant point originaires ; ce sont des emprunts faits à la Perse et modifiés par les montagnards lesghiens. Toujours est-il que la lesdingha, telle qu’on l’exécute communément, est à elle seule un poème. La danse guerrière du Cosaque, jouant avec des poignards et mesurant ses pas d’après la vélocité avec laquelle il manie ses armes, a un caractère de défi chevaleresque. »

Mme Serena parle plus loin de la frivolité de ces belles Géorgiennes, ravissantes, mais sans cervelle aucune, et dont l’éducation est absolument nulle. « Ni le soin du ménage, ni le gouvernement des enfants, ni aucun détail de ce genre ne trouble la placidité de leur existence ; qu’elles soient riches ou pauvres, humbles ou haut placées, elles laissent les choses aller leur train, sans se mettre martel en tête… Ces Iméréthiens, dont l’essence est d’être inoccupés, ne se lassent jamais, les femmes encore moins que les hommes, des éternelles visites qu’ils reçoivent, et qui en somme remplissent tout leur temps. »

La variété des aspects, des types et des idiomes est très grande dans la Géorgie. La province montagneuse de Mingrélie, que Mme Carla Serena visita ensuite, diffère sous beaucoup de points, et malgré la domination russe, qui y a introduit ses lois et ses mœurs, de l’Iméréthie. Dans certaines parties sauvages et peu accessibles, on conserve les coutumes primitives ; le linge y est aussi inconnu que la monnaie ; le trafic se fait par échanges. Ces montagnards s’occupent d’agriculture, de l’élève du bétail ; ils vivent dans de misérables huttes de terre ; mais l’air de leur pays est si salubre et si pur, que cette race est la plus belle du Caucase. Elle n’en est pas la plus hon-