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LADY HESTER STANHOPE

M. de Lamartine, pendant son voyage en Orient, fut ainsi reçu par elle en 1832, quand elle était déjà au seuil de la vieillesse. Il a donné un récit tout poétique de cette entrevue. Il était trois heures de l’après-midi quand on vint l’avertir que lady Hester consentait à le recevoir. Quittant aussitôt Beyrouth, il atteignit le lendemain vers midi, après une longue course à cheval dans la montagne, coupée seulement de quelques heures de repos, le lieu sauvage où s’élevait la demeure de lady Hester. On l’introduisit avec ses compagnons dans de petites chambres nues, où ils dormirent en attendant que l’hôtesse invisible voulût bien se montrer. Au bout de plusieurs heures on vint réveiller Lamartine, et on le conduisit à travers une cour, un jardin, un kiosque à jour tapissé de jasmin et deux ou trois corridors sombres, jusqu’au cabinet de la mystérieuse maîtresse du logis. Une obscurité si profonde y régnait, qu’il eut d’abord peine à distinguer les traits graves, doux et majestueux de la femme en costume oriental qui se leva du divan et vint lui tendre la main. Elle lui parut avoir cinquante ans ; en réalité elle en avait cinquante-six, et elle était encore belle, belle de cette beauté qui est dans la force même, dans la pureté des traits, dans la dignité, l’intelligence qui irradie la physionomie. Elle avait sur la tête un turban blanc d’où pendait une bande de laine pourpre lui couvrant le front et flottant sur ses épaules ; un long châle de cachemire jaune, une ample robe turque en soie blanche, aux larges manches, l’enveloppaient de leurs plis, de sorte qu’on ne faisait qu’entrevoir, par l’ouverture de cette première robe, sur la poitrine un second vêtement en étoffe persane, rattachée à la gorge par une agrafe de perles ; des bottines turques en maroquin jaune brodé de soie achevaient son costume, qu’elle portait avec une grâce royale.

« Vous êtes venu de bien loin, dit-elle à Lamartine, pour voir une ermite ; soyez le bienvenu. Je reçois peu d’étrangers, un ou deux à peine par année ; mais votre lettre m’a plu, et j’ai désiré connaître une personne qui aimait, comme moi, Dieu, la nature et la solitude. Quelque chose d’ailleurs me disait que nos étoiles étaient amies, et que nous nous conviendrions mutuellement. Asseyons-nous et causons. Nous sommes déjà amis. »

Dans une longue conversation à laquelle l’imagination de Lamartine a peut-être ajouté quelques traits en nous la rapportant, elle l’entretint de ses idées mystiques et de sa croyance au pouvoir des astres. Elle ne le laissa aller qu’à l’heure du dîner préparé pour ses