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LES VOYAGEUSES AU XIXe SIÈCLE

tère actuel, d’où les matériaux bouillonnants dans l’intérieur du globe s’échappent sans cesse en flots enflammés. Ils en gagnèrent le sommet avec peine, pour rester stupéfaits en présence d’un spectacle qui fait plus que de réaliser les terreurs de l’antique Phlégéthon. « Du bord du précipice on surplombe un lac de feu d’une largeur d’un mille. Avec le fracas épouvantable de la mer furieuse sur des brisants, les vagues rouge sang de la lave liquide battaient les rochers, lançant leur écume dans les airs, et ces vagues n’étaient jamais immobiles, mais revenaient incessamment à la charge et se retiraient aussi incessamment, se bousculant avec rage, sifflant, bouillonnant comme l’onde en lutte avec les vents et les courants. Un rouge sombre, lie de vin, semblait la couleur générale de cette lave en fusion, recouverte cependant d’une légère écume grise qui s’entr’ouvrait pour laisser échapper des cascades et des jets de feu jaune et rouge, et qui se trouvait tout d’un coup repoussée par la force d’un fleuve d’or, traversant rapidement toute l’étendue du lac. Le centre du combat était un îlot aux rochers sombres, que les vagues de lave rongeaient avec une fureur indescriptible. À l’opposé elles allaient s’engloutir dans une vaste caverne, entraînant les stalactites géantes qui en barraient l’entrée, et la remplissant d’un bruit de tonnerre. » Il faudrait donner la page tout entière, quoique malgré tout il y ait dans notre univers des tableaux devant lesquels échouent l’écrivain et le peintre ; mais si dans le jour le volcan a cet aspect terrible, que doit-il être la nuit, quand les vagues de lave éclairent seules de leurs lueurs sinistres l’obscurité du ciel ? « À mesure que les ténèbres devenaient plus profondes, le lac embrasé prenait des tons fantastiques, le noir de jais se transformant soudain en gris pâle, le marron foncé passant par le cerise et l’écarlate pour arriver au rose, au bleu et au violet le plus exquis ; le brun le plus chaud pâlissant graduellement et devenant jaune paille, avec les intermédiaires ocre et orange. Il y avait encore une autre teinte qu’on ne peut exprimer que par le mot de « couleur lave fondue ». Tout était beau, jusqu’aux vapeurs et aux nuages de fumée que ces jeux de lumière transformaient en brillantes apparitions, magnifiquement encadrées par cet amphithéâtre de pics sombres et de rochers aigus. De temps à autre un énorme bloc s’écroulait avec bruit dans le lac enflammé, pour y être fondu de nouveau et rejeté à son tour. »

Le temps passé à Honolulu ne fut pas perdu par lady Brassey. Elle n’interrompit pas un instant ses observations, et ne laissa rien