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LES VOYAGEUSES AU XIXe SIÈCLE

fleurs, que du pont du yacht nous distinguions l’éclatante couleur des plates-bandes....................

Nous allâmes nous promener au milieu de ces gentilles maisons et de leurs jolis jardins jusqu’au pont suspendu sur la rivière, suivis d’une foule de jeunes filles parées de guirlandes et portant à peu près le costume que nous avions vu à Taïti : une longue robe flottante à manches très amples et descendant jusqu’aux pieds. Les naturels semblent préférer ici des couleurs plus foncées ; le lilas, le beige, le brun et d’autres teintes neutres sont les nuances à la mode. Chaque fois que je m’arrêtais pour contempler un point de vue, une des jeunes filles venait à moi et me jetait un lei de fleurs par-dessus la tête ; puis, me l’attachant autour du cou, elle s’enfuyait en riant pour juger de l’effet produit. Le résultat fut qu’au bout de la promenade j’avais une douzaine de guirlandes, de couleurs et de longueurs variées, tombant sur mes épaules et m’échauffant presque autant qu’une palatine de fourrures ; pourtant je ne voulais pas les ôter de peur d’affliger ces pauvres filles. »

Il semble que partout lady Brassey fut accueillie avec une sympathie toute spéciale, due sans doute à ses qualités personnelles, mais aussi probablement à cette circonstance qu’il est bien rare de voir une Anglaise dans les îles de la Polynésie, et surtout une grande dame, femme d’un membre du parlement, et faisant le tour du monde dans le yacht de son mari.

Il va sans dire qu’elle fit une excursion au grand volcan de Kilauea. Sa description, dans sa simplicité, a de l’intérêt. Suivons-la aux deux cratères, l’ancien et le nouveau. « Nous descendons d’abord dans le précipice de plus de trois cents pieds qui forme le mur de l’ancien cratère, et où maintenant s’épanouit une prodigue végétation. La pente est si raide en beaucoup d’endroits, qu’on a dû fixer dans le rocher des marches de bois pour faciliter la descente. Au fond on marche sur une surface de lave refroidie, et là encore, dans chaque fente où un peu de terre s’est amassé, la nature a affirmé sa robuste vitalité, et de délicates fougères allongent leurs frondes vertes pour chercher la lumière. Quelle extraordinaire promenade sur ce champ de lave contournée de mille façons bizarres, selon la température qu’elle avait atteinte et la rapidité avec laquelle elle s’était refroidie ! Certains endroits ressemblaient au contenu d’un chaudron pétrifié en pleine ébullition ; d’autres fois la lave s’était congelée en vagues ou en énormes cordages noués les uns dans les autres, ou bien on lui