Page:Chevalier - Les voyageuses au XIXe siècle, 1889.pdf/233

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
223
MADEMOISELLE ALEXINA TINNÉ

Tabaco, galleta (biscuit), dont ils reçurent une provision en échange des peaux de loutre très belles qu’ils offraient ; sur quoi les deux hommes se dépouillèrent de leurs manteaux, faits de huit à dix peaux cousues ensemble avec des nerfs plus fins que ceux qui avaient servi pour le bateau, et les tendirent en réclamant encore du tabac, qu’on leur donna, ainsi que des verroteries et des couteaux. La femme, entraînée par un si bel exemple, se sépara de son vêtement, recevant en retour une nouvelle provision de tabac, des perles de verre et des miroirs, qu’on leur jeta dans le canot.

« L’embarcation, dit lady Brassey, contenait un homme, une femme et un jeune garçon ; je n’ai jamais vu un ravissement plus vif que sur la figure des deux derniers quand, pour la première fois de leur vie sans doute, ils se virent possesseurs de colliers de perles bleues, rouges et vertes. Ils avaient dans leur canot deux pots grossiers en écorce, qu’ils nous vendirent également ; et enfin ils partirent à regret, tout à fait dépouillés, mais fort heureux, criant et jacassant dans leur langage, le moins articulé qui soit au monde. On eut beaucoup de peine à leur faire lâcher l’amarre, quand le navire se remit marche, et j’avais peur qu’ils ne fussent renversés. Ces Fuégiens étaient gras et vigoureux ; quoiqu’ils ne fussent pas beaux, leur aspect n’avait rien de repoussant, et la physionomie de la femme était agréable quand elle souriait à la vue des miroirs et des verroteries. Le fond de leurs pirogues était couvert de branchages, parmi lesquels on distinguait les restes d’un feu. Leurs avirons étaient fort grossiers de simples branches fendues, au bout desquelles on avait fixé un morceau de bois plus large au moyen de nerfs d’oiseaux ou d’animaux. »

Comme contraste se présente bientôt la description que donne lady Brassey d’une île de corail, un de ces innombrables joyaux qui ornent le large sein de l’océan Pacifique, comme des émeraudes enchâssées dans un bouclier d’azur et d’argent. C’était la première terre que le yacht rencontrait dans cette grande mer du Sud. Un récif de coraux enfermait une tranquille lagune, jusqu’à laquelle descendaient les pentes verdoyantes de l’îlot (l’île de l’Arc). La beauté de cette lagune était incomparable et défierait le pinceau. « Des forêts sous-marines de coraux de mille couleurs, parsemés d’anémones, d’échidnés, de toute une végétation animée, d’un éclat inimaginable ; des troupes de poissons étincelants qui se jouaient