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LES VOYAGEUSES AU XIXe SIÈCLE

qui part au galop, traînant derrière lui, pendant un certain nombre de milles, le sac qui saute et bondit sur la route. »

Un peu avant d’arriver au détroit de Magellan, l’équipage du Sunbeam fut témoin d’un des plus épouvantables désastres en mer : l’incendie d’un vaisseau. Le bâtiment se trouva être le Monkshaven, venant de Swansea ; à destination de Valparaiso, avec un chargement de charbon pour la fonte du minerai ; sur trois navires chargés de cette dangereuse cargaison, il y en a presque toujours un qui prend feu. Le Sunbeam, en apercevant les signaux de détresse, s’arrêta et envoya un canot qui amena à son bord le capitaine et son équipage, ainsi que la plus grande partie de leurs effets, les chronomètres, les cartes et les papiers du navire.

« Le pauvre petit canot du Monkshaven avait été repoussé du pied par les matelots qui en débarquaient, et il y avait quelque chose de triste à voir ce frêle esquif s’en aller lentement à la dérive, suivi de ses avirons et d’autres objets abandonnés, comme pour aller rejoindre le beau navire qu’il venait de quitter. Ce dernier était resté en panne, toutes voiles dehors ; de temps à autre, une colonne de fumée trahissait seule la présence du démon destructeur qui se cachait dans ses flancs. Le ciel était sombre et chargé de nuages ; le soleil se couchait dans une splendeur livide ; les vagues, hautes et noires, se rayaient d’écume blanche. Il n’y avait pas un souffle de vent tout présageait une tempête. Pendant que nous roulions péniblement, il nous arrivait d’apercevoir le canot et le navire incendié, puis tout d’un coup de les voir disparaître, pendant un moment qui nous semblait un siècle, dans l’immense sillon de la grande houle de l’Atlantique. »

L’équipage recueilli se composait principalement de Danois et de Norvégiens ; ils racontèrent qu’un peu avant de rencontrer le Sunbeam, et quand déjà l’incendie grondait sous leurs pieds, ils avaient vu passer un steamer américain auquel ils avaient en vain fait leurs signaux de détresse, et qui avait tranquillement continué sa route. Un matelot dit à lady Brassey qu’alors le désespoir les avait pris, et qu’ils s’étaient couchés sur le pont pour y mourir. Les deux mousses pleuraient ; mais le capitaine, très religieux et très bon pour ses hommes, leur dit « Il y a là-haut quelqu’un qui veille sur nous. » Dix minutes après, ils aperçurent les voiles du yacht.

Lady Brassey parle incidemment des Patagons, dont les premiers