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MADEMOISELLE ALEXINA TINNÉ

si ce n’est le péon qui nous amena des chevaux de rechange à moitié chemin.

« Dans le cours de cette expédition, nous passâmes devant une vaste estancia dont la route était semée des cadavres et des squelettes des pauvres animaux tués par la sécheresse. On en voyait des centaines étendus çà et là, dans un état de putréfaction plus ou moins avancé, et ceux dont la mort était récente entourés de vautours et d’oiseaux de proie. La première rivière que nous eûmes à traverser était encombrée des cadavres de ces malheureuses créatures, qui s’y étaient traînées pour boire une dernière fois, et n’avaient pas eu la force de sortir du courant. Des troupeaux de bétail affamé, en misérable état, s’apercevaient aussi ; les vaches étaient à peine plus grosses que leurs veaux. Ces pâturages ne sont pas assez beaux pour nourrir les moutons, mais on y voit souvent des daims. »

Les voyageurs arrivèrent ainsi à l’estancia, où ils devaient se reposer : la maison n’avait qu’un étage, avec une véranda de chaque côté ; par devant, une cour d’entrée, et derrière un parterre rempli de fleurs ; les chambres à coucher sont dans des pavillons détachés. Le propriétaire de cette habitation s’occupait surtout de l’élevage des chevaux.

« Les gens de ce pays, dit Mme Brassey, passent leur vie à cheval. On se sert de chevaux pour toutes les choses imaginables, depuis la chasse et la pêche jusqu’à la fabrication des briques et le barattage du beurre. Les mendiants même mendient à cheval ; j’ai vu la photographie de l’un d’entre eux, portant au cou son autorisation de mendicité. Il va sans dire que tous les domestiques ont chacun leur cheval ; les femmes de chambre sont pourvues d’amazones, qu’elles mettent le dimanche pour aller faire des visites d’une estancia à l’autre. Pour la pêche, le cheval entre dans l’eau aussi loin que possible, et son cavalier se sert alors de la ligne ou du filet. À Buenos-Ayres, j’ai vu les pauvres bêtes gagner la côte presque à la nage, traînant des charrettes ou portant de lourds fardeaux pris à bord des navires à l’ancre dans la rade ; car l’eau est si basse, que de très petites barques peuvent seules approcher les navires, et la cargaison est placée immédiatement sur les charrettes pour éviter les frais de transport. Dans les pays perdus comme les Pampas, où l’on n’a pas de barattes, on fait le beurre en mettant le lait dans un sac de peau de chèvre attaché par un long lasso à la selle d’un péon,