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MADEMOISELLE ALEXINA TINNÉ

donner le plaisir de contempler par les yeux de la voyageuse quelques-uns des tableaux variés et curieux qui passèrent devant elle, afin de pouvoir juger de l’impression qu’ils produisirent sur un esprit aussi intelligent que le sien. Lady Brassey n’appartient évidemment pas à l’école qui repousse et dédaigne l’admiration ; mais, au contraire, elle jouit vivement de tout ce qui lui semble nouveau ou curieux, que ce soit un détail pittoresque ou un paysage plein de couleur. C’est cette jouissance, communiquée au lecteur, qui rend son livre si agréable ; il n’a aucune affectation, aucun air de supériorité ; on se sent en compagnie d’une vraie femme dont les sympathies sont étendues et le caractère heureux.

Notre première promenade, avec lady Brassey pour guide, sera au marché de Rio-Janeiro.

« Il y régnait, dit-elle, une animation et un mouvement singuliers, et il y avait une infinie variété de choses à observer. Le marché au poisson était rempli de « monstres de l’abîme », tous nouveaux et étranges pour nous ; leurs singuliers noms brésiliens ne donneraient à un étranger aucune idée de l’animal lui-même. Il y avait un énorme goujon de mer, pesant environ trois cents livres, avec une tête hideuse, le dos et les nageoires d’un noir luisant ; de gigantesques raies, des seiches, la pieuvre des Travailleurs de la mer de Victor Hugo ; sans parler de grosses crevettes pour lesquelles cette côte est renommée, des crevettes de huit à dix pouces de longueur, avec des antennes de douze à quatorze elles conviennent à ceux qui préfèrent la quantité à la qualité, car elles sont d’un goût médiocre, tandis que les huîtres, très petites, sont délicieuses. On trouve aussi des maquereaux en abondance, beaucoup de tortues, et quelques requins à tête de marteau.

« Sur le marché aux fruits on retrouvait beaucoup d’espèces aux couleurs éclatantes, familières aux Européens ; de vigoureuses négresses d’un noir de jais, coiffées d’un turban, le cou et les bras ornés de perles de verre, et couvertes d’un long et unique vêtement blanc, qui semblait toujours glisser de leurs épaules, présidaient à ces riches monceaux d’oranges, d’ananas, de bananes, de tomates, de pommes et de poires, auxquelles se mêlaient les cannes à sucre, les choux palmistes, les piments, les fruits du poivrier et de l’arbre à pain.

« Dans une autre partie du marché on vendait toutes sortes d’oiseaux et quelques animaux vivants, tels que daims, singes,