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MADEMOISELLE ALEXINA TINNÉ

permit qu’il eût eu l’idée de rouler une corde autour de son poignet, et, jetant son autre bras autour de Mabelle, il resta ferme comme un roc ; autrement rien n’aurait pu les sauver. La petite était parfaitement tranquille, et disait avec sang-froid « Tenez bon, capitaine Lecky, tenez bon ! — All right ! » répondait-il. Je demandai ensuite à Mabelle si elle avait pensé qu’elle allait tomber à la mer. « Je n’ai pas pensé du tout, maman ; j’étais sûr que nous y étions. » Le capitaine Lecky, avec son habitude des grands navires, ne s’était pas rendu compte à quel point nous étions près de l’eau dans notre petit yacht, et avait été tout à fait saisi par surprise. Tous les autres furent trempés jusqu’aux os, à l’exception de Muriel, que le capitaine Brown enleva dans ses bras, et qui ne perdit pas un instant, au milieu de la confusion générale, pour nous répéter : « Moi, je ne suis pas mouillée du tout. » Heureusement les enfants ne savent pas ce que c’est que la peur. Les femmes de chambre mouraient de frayeur car, la mer ayant envahi la chambre des enfants, on avait été obligé de fermer hermétiquement les écoutilles.

« Peu de temps après cette aventure, nous allâmes tous nous coucher, fort reconnaissants qu’elle se fût terminée si heureusement ; mais pour ma part, du moins, je n’étais pas destinée à dormir en paix. Au bout de deux heures, je fus éveillée en sursaut par une énorme masse d’eau qui descendait sur moi et inondait mon lit. J’en sautai immédiatement pour me trouver les pieds dans une flaque d’eau. Il faisait noir comme dans un four, et je ne pouvais comprendre ce qui était arrivé. Je me précipitai sur le pont et je découvris que, le temps s’étant un peu calmé, un brave marin, connaissant mon goût pour l’air frais, avait ouvert un peu trop tôt l’écoutille, et les vagues furieuses, bondissant sur le pont, avaient inondé la cabine. Je me procurai une lumière et me mis à étancher l’eau de mon mieux ; puis je tâchai de trouver un endroit sec pour dormir, ce qui n’était pas facile, car mon lit était trempé et tous les autres occupés ; en outre, sur le pont on avait de l’eau jusqu’à la cheville, comme je m’en aperçus en m’efforçant de gagner le canapé, dans la cabine de la dunette. À la fin, je me couchai sur le plancher, enveloppée dans mon ulster, soutenue d’un côté par le pied du lit et de l’autre par l’armoire ; mais, comme le yacht roulait lourdement, j’avais à chaque instant les pieds plus hauts que la tête ; aussi mon sommeil ne fut qu’un long cauchemar… Lorsqu’il fit jour, le temps s’éclaircit beaucoup ; mais la brise continua. Tout l’équipage fut