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LES VOYAGEUSES AU XIXe SIÈCLE

Le Bédouin, si souvent engagé dans des guerres de tribu, fouille sans cesse l’horizon du regard pour y découvrir un ennemi, absolument comme le marin y cherche une voile. Faute de télescope, une vue perçante est un privilège estimé, et lady Hester possédait cette faculté. Dans une circonstance où l’on avait de bonnes raisons de craindre une brusque démonstration d’hostilité, un des Arabes créa une grande agitation dans le camp en déclarant qu’il était certain de distinguer des objets en mouvement au point le plus éloigné où le regard pouvait atteindre ; lady Hester, consultée, assura immédiatement qu’elle voyait bien une troupe de chevaux, mais que ces chevaux étaient sans cavaliers, assertion qui se trouva exacte. De ce jour, la supériorité de sa vue fut chose indiscutable, et son influence s’en accrut.

Nous citerons une autre anecdote qui a le double avantage de mettre en lumière, non seulement la nature de lady Hester, mais celle des peuplades errantes qu’elle ambitionnait de gouverner. Un jour, dans une de ses marches avec les guerriers de la tribu, elle s’aperçut qu’ils se préparaient à un combat, et en demanda la raison. Après avoir cherché quelque temps à éluder ses questions, le cheik lui apprit qu’on leur avait déclaré la guerre à cause de leur alliance avec la princesse anglaise, et qu’ils s’attendaient à se voir attaqués par des forces supérieures ; il lui laissa voir que sa présence était le seul sujet de discorde, et que, s’il n’avait pas regardé comme un devoir sacré de protéger l’étrangère devenue leur hôte, la querelle eût été aisément apaisée. Les circonstances données, un désastre terrible menaçait la tribu. La résolution de lady Hester fut aussitôt prise ; elle ne pouvait exposer ses amis à une calamité qu’il était en son pouvoir de détourner. Elle continuerait seule sa route, se confiant en elle-même et en son habileté pour éviter ou vaincre le péril. Naturellement le cheik combattit cette détermination et lui avoua avec franchise que bien que, si elle les quittait, ils pussent sur-le-champ conclure des arrangements pacifiques, ils ne pourraient obtenir qu’elle y fût comprise, et que les cavaliers de l’ennemi battraient le désert de façon à lui rendre impossible de passer dans une autre région. La crainte du danger ne put cependant émouvoir l’âme calme et courageuse de lady Hester. Elle dit adieu à la tribu, tourna dans la direction opposée la tête de son cheval, et s’éloigna seule dans la plaine. Les heures se passèrent : elle continuait sa route sous un soleil brûlant, à travers les solitudes de sable. Sou-