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MADEMOISELLE ALEXINA TINNÉ

doute poussé à s’engager trop avant dans le fleuve, fut pris par le courant et entraîné vers l’un des bateaux. L’occasion était trop bonne pour qu’on la négligeât ; les bateliers attaquèrent l’infortuné animal, qui fut tué et depecé sur-le-champ.

Le 10 mars, le steamer entrait dans le port de Meschra-el-Rey, sur le Bahr-el-Ghazal, où le rejoignait le docteur Heughlin. Ils furent reçus avec un grand enthousiasme, drapeaux flottants, salves de coups de canon. Puis ce fut un délai de quelques jours pour attendre de nouveaux renforts de provisions et une troupe de porteurs de bagages, le tout venant de Khartoum. L’impatience prit aux voyageurs ; il fut décidé que les deux Allemands iraient à la recherche des porteurs promis, laissant Mlle Tinné et le reste de la caravane les attendre à Meschra. Les docteurs Heughlin et Steudner partirent donc, mais le malfaisant climat exerça sur eux son influence funeste. Réduits par la fièvre et la dysenterie à un état de prostration, ils traversèrent une contrée déserte, passèrent la rivière Djur le 2 avril, et arrivèrent le même soir à Wan, où le docteur Steudner succombait quelques jours après, presque sans souffrance. Son ami parvint à lui rendre les derniers devoirs. Le corps, enveloppé d’étoffes abyssiniennes, fut enterré sous des arbres à triste feuillage, au sein de cette nature magnifique « dont il était le serviteur et l’adorateur sincère ».

Enfin à Bongo, au pays de Dur, le docteur Heughlin parvint à louer un nombre suffisant de porteurs pour un prix très élevé, et il les ramena à Meschra après six semaines d’absence. Les dames souffraient des fièvres ; mais, un convoi de provisions étant arrivé de Khartoum, elles partirent pour Bongo sans se décourager. Elles voyageaient à petites étapes, et lorsqu’à la tombée du jour on atteignait un village qui semblait offrir un gîte convenable, Mlle Tinné faisait demander le cheik, et le don de quelques verroteries était toujours suffisant pour leur assurer une hospitalité empressée.

Les villages africains sont souvent considérables et entourés en général d’une zone cultivée, où croissent abondamment le dourra, le sésame et les légumes du pays. Les troupeaux qui couvrent les prairies comptent plusieurs milliers de moutons ; cependant les indigènes ne les tuent jamais pour s’en nourrir. Au début, Mlle Tinné en achetait pour alimenter sa table ; mais, dès que les propriétaires découvrirent qu’elle les employait à cet usage, ils refusèrent de lui en vendre. Apparemment ils en font les objets d’une sorte de culte,