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LES VOYAGEUSES AU XIXe SIÈCLE

des eaux du Bahr-el-Ghazal avant de tourner brusquement vers le midi.

Les marais du Nil exhalent des miasmes malfaisants, dangereux pour l’homme, mais qui favorisent le développement d’une abondante et pittoresque végétation. Les tamaris, les mimosas, les plantes grimpantes, les papyrus et l’euphorbe (cette dernière donne un jus laiteux et empoisonné, où les indigènes trempent la pointe de leurs flèches mortelles), tout cela pousse avec une luxuriante liberté et présente la plus riche variété de couleurs.

Au delà du lac Nu, le cours du Nil Blanc se brise en un nombre infini de courbes et de méandres, où ses flots se précipitent avec une grande rapidité et une telle force, que le steamer dut lâcher la corde des deux bateaux qu’il remorquait et les abandonner à eux-mêmes. Il fallut que les matelots et les domestiques descendissent à terre, et de leurs bras vigoureux se missent à l’œuvre pour les haler en remontant le courant ; mais ce courant était si violent, que la corde se brisa, et les bateaux, entraînés en sens contraire, semblèrent perdus. Osman-Aga, soldat résolu et courageux, qui se trouvait sur le pont du steamer saisit une autre corde et se jeta aussitôt dans l’eau, nageant vigoureusement vers la rive. Il l’avait presque atteinte et avait lancé la corde à l’équipage du premier bateau, quand la violence du courant l’entraîna, et il disparut dans les flots. Un peu plus tard ses camarades retrouvèrent son corps et lui donnèrent la sépulture suivant leurs rites, au pied d’un arbre séculaire sur le tronc duquel ils gravèrent une inscription.

Quelques jours après ce triste événement, Mlle Tinné arrivait à Heiligen-Kreuz (Sainte-Croix), village de missionnaires autrichiens. Elle y resta jusqu’à la mi-septembre, sauf une courte excursion dans l’intérieur, pendant laquelle elle franchit des fleuves, pénétra dans de marécageuses forêts, et visita des villages habités par une population complètement nue, qui se nourrit de chauves souris, de serpents, de termites et de racines crues. En approchant de Gondokoro, le paysage prit un caractère grandiose ; les rives du fleuve disparaissaient sous l’envahissement des forêts tropicales, dans les profondeurs desquelles on apercevait parfois des ruines d’anciens édifices. Gondokoro, longtemps regardé comme le point extrême des expéditions dans la vallée du Nil, fut atteint le 30 septembre. Notre héroïne ne devait pas aller plus loin dans ses explorations africaines. Elle désirait ardemment avancer encore, partager la gloire qui couronne les