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LES VOYAGEUSES AU XIXe SIÈCLE

avait été chargée près des chefs des tribus sahariennes par de lointaines puissances musulmanes. Mais la simple vérité, une fois connue, sembla plus extraordinaire encore que tout ce que l’imagination publique avait pu inventer. Le yacht appartenait, en effet, à une femme jeune, belle, maîtresse d’une fortune princière, dont l’existence depuis son enfance s’était presque entièrement passée en Orient, qui avait déjà fait plusieurs voyages dans l’Afrique centrale, et qui, sans se laisser décourager par les échecs de tant de hardis explorateurs dans la même direction, méditait actuellement une entreprise destinée, en cas de réussite, à la placer au premier rang des voyageurs africains. »

Mlle Alexina ou Alexandrine Tinné était née à la Haye en 1835, selon d’autres en 1839. Son père, un commerçant hollandais qui avait fait fortune à Démérara, s’était fait naturaliser Anglais et avait fini par se fixer à Liverpool. Sa mère était la fille de l’amiral van Capellen, qui commandait le détachement hollandais de la flotte de lord Exmouth au bombardement d’Alger, en 1816. La mort de son père, lorsqu’elle était encore tout enfant, mit Alexina en possession d’une immense fortune ; mais elle eut le bonheur de trouver dans sa mère une tutrice sage et prudente, qui prit soin que son éducation fût à la hauteur de cette brillante situation. Présentée fort jeune à la cour, elle devint la favorite de la reine de Hollande, et le sort sembla mettre à ses pieds tout ce que le monde recherche le plus, lui permettant de jouir dans toute son étendue de ce qu’on a appelé la puissance de l’argent. Tous les plaisirs littéraires et artistiques, tout l’éclat d’une vie mondaine et raffinée, toute l’influence qui permet de faire beaucoup de bien ou beaucoup de mal, étaient à la disposition de cette jeune fille à son entrée dans la vie, et volontairement elle mit tout cela de côté. Soit que sa nature impatiente et agitée se révoltât contre les entraves sociales, soit qu’elle fût poussée par un sincère amour de la science, ou que quelque chagrin précoce se cachât sous cette résolution, riche, brillamment douée, heureuse en apparence, elle disparut soudain de la Haye en 1859, et, après un court séjour en Norvège et un tour rapide en Italie, en Turquie et en Palestine, elle arriva sur les bords du Nil. En compagnie de sa mère et de sa tante, elle étudia les monuments de l’Égypte antique, et prit au Caire ses quartiers d’hiver.

Ce premier essai stimula son appétit de voyages. À cette époque, tous les esprits étaient occupés des récentes découvertes au cœur de