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MADAME DE BOURBOULON

yaks au long poil blanc, ressemble à un campement de nomades, avec ses maisons qui sont des tentes, et que dominent les clochetons dorés des deux palais du Guison-Tamba, le pontife enfant adoré des lamas. Si les tribus khalkas avaient paru misérables aux voyageurs, ils voyaient là des Mongols de haut rang, des tait-si ou gentils-hommes, ayant grand air avec leur élégant costume et leurs façons pleines de courtoisie : ils portaient des bonnets de soie cramoisie doublés de martre et ornés d’une plume de faucon, des manteaux de soie jaune et de fourrures, et des pelisses également cramoisies, enfin de longues guêtres de velours noir, et au côté un léger sabre chinois. Mais, si pittoresque que fût ce spectacle, Mme de Bourboulon déclare qu’elle était surtout sensible au plaisir de retrouver quelque chose de l’Europe. « La tenue, la discipline des Cosaques, les boutons dorés de leur officier, jusqu’à l’habit à queue de morue du consul, me représentaient la civilisation et me faisaient tressaillir le cœur ; il me semblait que j’allais guérir tout de suite, que je rentrais dans ma vie ordinaire, après avoir passé par les angoisses d’un cauchemar étrange. » Mme de Bourboulon obtint à grand’peine l’autorisation de visiter la montagne sacrée qui domine Toula, mystérieux sanctuaire du culte bouddhique ; elle est couverte d’une épaisse forêt de pins, sous lesquels s’élèvent de grands rochers blancs qu’on aperçoit de la vallée, et qui sont couverts d’inscriptions gigantesques tirées des livres de Çakya-Mouni, le prophète du Bouddhisme. Il y a à Ourga près de trente mille lamas, attirés par la vénération qu’inspire la ville sainte ; elle se compose de trois quartiers : russe, chinois et mongol ; tous les trois ans s’y célèbre une grande fête religieuse où accourent des députations de toutes les tribus de la Mongolie, des pèlerins, des Tartares, des Mandchoux, des Thibétains venus de l’Himalaya, mêlés aux marchands turcs et sibériens. Il s’y fait, en un mois, un trafic de plus de cent millions.

Pour atteindre la frontière sibérienne, il restait encore bien des fatigues à supporter ; il fallut franchir par des gorges magnifiques et profondes, où le chemin était presque impraticable, les monts Bakka-Oula, couverts de forêts toutes peuplées de bêtes fauves ; et ce fut avec une joie vive que Mme de Bourboulon vit tout à coup se déployer devant elle la grandiose vallée de la belle rivière Sélenga, que bornaient les hautes montagnes de la Sibérie, et au pied de ces montagnes étinceler les flèches dorées de la cathédrale de Kiatka. Le gouverneur général de la Sibérie orientale avait envoyé au-devant