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LES VOYAGEUSES AU XIXe SIÈCLE

un petit coin du sol qu’il appelle sa propriété. Le steppe immense lui appartient ; ses troupeaux, qui le suivent dans ses courses vagabondes, lui fournissent la nourriture et les vêtements : que lui faut-il de plus, tant que la terre ne lui manque pas ? »

Ce vaste désert a exercé son influence sur les destinées de la race humaine ; il a mis une infranchissable barrière entre la civilisation de l’Inde et du Thibet et les peuplades du nord de l’Asie. Les barbares qui, dans les dernières années de l’empire romain, envahirent et dévastèrent l’Europe sortaient des steppes et des plateaux de la Mongolie. Comme l’a dit Humboldt[1] : « Si la culture intellectuelle a marché d’Orient en Occident comme la lumière vivifiante du soleil, la barbarie, à une époque postérieure, suivit la même route, et menaça de plonger de nouveau l’Europe dans les ténèbres. Une race de bergers aux cheveux roux, les Hiounghums, habitait sous ses tentes de peaux le plateau élevé de Gobi. Longtemps formidables au pouvoir chinois, une partie de ces Hiounghums furent refoulés au sud vers l’Asie centrale, l’impulsion, une fois donnée, se propagea sans interruption jusqu’aux bords de l’Oural, d’où fit irruption un torrent de Huns, d’Avares, de Chasars et autres peuplades asiatiques confondues. Les armées des Huns arrivèrent d’abord aux rives du Volga, puis dans la Pannonie, et enfin jusque sur les bords de la Marne et du Pô, dévastant ces belles plaines que le génie de l’homme avait couvertes de monuments. Ainsi souffla de la Mongolie asiatique un vent pestilentiel qui alla flétrir jusqu’aux plaines cisalpines la fleur délicate de l’art, objet de soins si précieux. »

Dans ces steppes, la température est extrêmement variable ; souvent il gèle le matin, et à midi on a trente degrés de chaleur ; il faut ôter et remettre des vêtements sans arriver à se préserver des rhumes, et l’on a même trouvé des voyageurs morts de froid dans le désert. La fatigue du voyage est accrue par le trot rapide des chevaux mongols et les inégalités perpétuelles du terrain. Les postillons mongols sont d’admirables cavaliers et luttent entre eux d’adresse et d’agilité ; des femmes même font quelquefois ce périlleux service pour remplacer leurs pères ou leurs maris. Mais, en revanche, rien ne peut résister à ces courses désordonnées et à ces cahots intolérables ; les objets les plus soigneusement emballés sont brisés. Mme de Bourboulon dit qu’ils semaient le désert des débris de leur garde-robe,

  1. Alexandre de Humboldt, Tableaux de la nature.