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FRÉDÉRIKA BREMER

Gobi, où le steppe est parsemé d’innombrables taupinières servant d’habitation à des rats gris, ou bien de bancs de grès échelonnés comme les marches d’un escalier naturel, qui y rendent la locomotion des plus pénibles ; ce n’est plus l’océan de verdure de la terre des Herbes, mais une mer de sable sans limites, sans arbres et sans fleurs ; cependant cette monotone uniformité n’est pas dépourvue d’une certaine poésie.

« En arrivant ici à la couchée, à quatre heures du soir, j’ai été me promener sur le bord d’un étang où j’ai joui d’un coup d’œil extraordinaire ; au milieu et sur le bord, dans un encadrement de roseaux et de gazon vert, s’ébattait avec confiance une foule d’oiseaux de toute couleur et de toute grandeur : des sarcelles, des canards de différentes espèces, des cygnes, des poules d’eau, bécassines, ibis, hérons ; un troupeau d’antilopes s’abreuvait sans se soucier des cris de la gent ailée ; une bande d’oies sauvages paissait l’herbe verte ; un superbe faisan doré caquetait auprès de ses poules ; enfin deux énormes grues de la Mandchourie, perchées sur une patte, contemplaient mélancoliquement ce spectacle : on eût dit la basse-cour du bon Dieu. La confiance de ces animaux prouvait que jamais aucun d’eux n’avait été tourmenté ni chassé par l’homme. »

Ce nom de désert de Gobi (désert des pierres) lui vient des énormes rochers granitiques qui le parsèment ; la Mongolie n’est, en effet, qu’un vaste plateau de granit, et dans les endroits où ces assises ne sont pas recouvertes d’une couche de terre, toute végétation cesse, l’eau manque, et dans les puits elle a un goût sulfureux insupportable. Cependant, grâce à leurs provisions, les voyageurs ne souffraient pas du manque de ressources ; la seule chose qui leur faisait défaut était le pain ; Mme de Baluseck avait cependant emporté du pain de seigle qui était encore mangeable, détrempé dans de l’eau ou du lait.

Plus loin, Mme de Bourboulon ajoute :

« Je m’habitue au désert ; voici quelques jours que je couche sous la tente, et il me semble que j’ai toujours vécu ainsi. Le désert ressemble à l’Océan : l’œil de l’homme s’y plonge dans l’infini, et tout lui parle de Dieu. Le nomade mongol aime son cheval comme le marin aime son navire. Ne lui demandez pas de s’astreindre aux habitudes sédentaires des Chinois, de bâtir des demeures fixes et de remuer le sol pour en tirer péniblement sa nourriture ; ce libre enfant de la nature se laissera traiter de barbare grossier, rude et ignorant, mais en lui-même il méprise l’homme civilisé qui rampe comme un ver sur