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LES VOYAGEUSES AU XIXe SIÈCLE

camper sous la tente « comme les nomades ». À Bourgaltaï même, dans leur misérable auberge, elle parle en riant de leur soirée. « C’était la fête de la reine Victoria, et comme le maître d’hôtel a pu mettre la main sur deux bouteilles de Champagne, nous avons bu à la santé de Sa Majesté avec le ministre d’Angleterre et son secrétaire ; ensuite nous avons fait un whist, car on avait trouvé des cartes ; c’est sûrement la première fois qu’on y joue dans les déserts de la Mongolie. »

Avant d’y pénétrer avec elle, il peut être utile d’énumérer le personnel de la caravane et de parler de son organisation. Outre M. et Mme de Bourboulon, les Français étaient au nombre de cinq : le capitaine Bouvier, un sergent et un soldat du génie, un artilleur, un intendant, plus un jeune Chinois chrétien que l’ambassadeur emmenait en France. La suite de Mme de Baluseck consistait en un médecin russe, une femme de chambre, un interprète lama et un Cosaque d’escorte. Les deux dames voyageaient dans une petite calèche à deux roues appartenant à l’ambassadrice russe, les autres à cheval ou dans des charrettes chinoises ; ces charrettes, avec des capotes goudronnées, garnies en drap bleu, ne contiennent qu’une seule personne ; elles ne sont pas suspendues, mais très solides. Les conducteurs chinois furent remplacés par des postillons mongols, et les mandarins déposèrent toute responsabilité entre les mains d’officiers de cette nation. La façon d’atteler est fort étrange une longue barre de bois est attachée au bout des brancards ; de chaque côté un cavalier la glisse sous sa selle, et ils partent au galop. Quand on veut s’arrêter, les postillons se jettent de côté, la barre tombe à terre, et le voyageur court grand risque d’être lancé hors de la voiture. Les officiers d’escorte allaient en avant pour faire dresser les tentes, construites exprès pour la circonstance et fort vastes ; elles étaient formées de claies mobiles sur lesquelles on étendait un immense tapis de feutre épais, le tout ayant l’apparence d’un gigantesque parapluie avec un trou au centre pour renouveler l’air ; l’intérieur était orné de soieries chinoises. La caravane emportant avec elle des provisions considérables, et les bergers nomades fournissant de la viande fraîche, la table était bien servie ; mais le défaut de combustible les obligeait à brûler des argols ou des bouses de vache desséchées, et le froid était très vif.

Au bout de quelques jours, ils entrèrent dans le grand désert de