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LES VOYAGEUSES AU XIXe SIÈCLE

mière fois que des barbares de l’Occident profanaient ce sol sacré.

« Enfin on nous ouvre les portes ; le gardien de la première enceinte nous offre le thé, et nous faisons distribuer de l’argent aux employés de la sépulture impériale… En Chine encore plus qu’en Europe c’est là une formalité inévitable, et le principe de rien pour rien a dû être inventé dans l’empire du Milieu. Par respect ou pour toute autre cause, les gardiens se dispensent de nous suivre et nous laissent libres d’aller et de venir à notre gré. Nous montons quelques marches, et nous nous trouvons dans une immense cour carrée ; les avenues en sont dallées de marbre blanc, devenu jaunâtre de vétusté ; au milieu, nous contournons des pelouses vertes avec des rangées de cyprès et d’ifs taillés à façon ; aux quatre coins sont des temples consacrés aux divinités du ciel et de l’enfer. Un superbe escalier de trente marches nous mène à un nouveau carré, planté dans le même style ; une épaisse forêt de cèdres gigantesques l’encadre à droite et à gauche : ces arbres font un effet saisissant avec leur écorce d’un gris presque blanc et leur feuillage tellement sombre, qu’il en paraît noir. Huit temples à coupoles rondes et superposées s’élèvent sous l’abri mystérieux des grands cèdres, tous peuplés de ces nombreuses idoles, inventions bizarres du paganisme chinois. L’ensemble de cette cour est funèbre ; j’y frissonne malgré moi, car il y règne une humidité pénétrante comme dans une cave ou un tombeau. C’est avec plaisir que je monte un nouvel escalier qui nous conduit à une plate-forme ronde, tout en marbre blanc et entourée de balustrades sculptées à jour. Au milieu s’élève le grand mausolée ; nous en faisons le tour, et, du côté opposé, nous trouvons un mur à pic adossé à la montagne, qui est couverte d’une végétation inextricable. Une grande porte de bronze, magnifiquement sculptée, nous conduit dans l’intérieur du monument. Nous passons d’abord sur une voûte où sont des caveaux que nous supposons renfermer les ossements des Mings, puis nous montons un escalier tournant d’un très beau style avec des rampes sculptées ; il nous conduit sur une nouvelle plate-forme moins vaste, où nous sommes à peu près à vingt mètres au-dessus du sol. De là on jouit d’une vue magique : devant nous, la vallée que nous venons de parcourir ; de chaque côté, tout un monde de mausolées, de pagodes, de temples, de kiosques que nous n’avions pu voir, cachés qu’ils sont par les grands arbres. Au-dessus de la plate-forme, le mausolée se continue en coupole immense, se terminant en pyramide pointue, couverte d’écailles comme un ser-