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LES VOYAGEUSES AU XIXe SIÈCLE

excelle sont celles des scènes de mœurs et des types variés qui encombraient les rues de la cité sainte.

« Je diviserais la population de Jérusalem en trois classes : fumeurs, les crieurs, les fantômes. Les premiers fument par groupes au dehors des cafés, pendant que des enfants, qui portent le joli costume grec, courent de l’un à l’autre avec une cafetière endommagée et versent le café dans de très petites tasses ; plus il est noir, plus il est apprécié. Les fumeurs le dégustent goutte à goutte, avec une mine de vive satisfaction. Souvent l’un d’entre eux entame une histoire avec grand accompagnement de gestes ; les autres écoutent attentivement, mais vous les voyez à peine rire. On entend souvent dans les cafés le son d’une guitare accompagnant un chant monotone, qui célèbre des exploits, guerriers ou des aventures romanesques ; les Arabes écoutent avec une attention ravie. Dans les bazars, dans les boutiques, partout où règne la vie publique, on retrouve les fumeurs. Ceux qui portent le turban vert descendent de la famille de Mahomet, ou du moins ils ont fait le pèlerinage de la Mecque, et savent le Coran par cœur, ce qui leur donne droit au rang de saint homme.

« La classe des crieurs se compose, à Jérusalem, de tous ceux qui vendent dans les rues, des conducteurs d’ânes et de chameaux, et des paysannes qui apportent chaque jour du combustible, des légumes et des œufs. Elles stationnent en général avec leurs marchandises sur la place de Jaffa et crient d’une façon effrayante ; on croirait qu’elles se querellent : pas du tout, elles ne font que causer. Ces femmes laissent pendre sur leur dos leurs voiles ou manteaux malpropres, et ne se couvrent pas le visage ; elles sont toujours parées et quelque fois surchargées d’ornements d’argent. Des monnaies d’argent, suspendues à un ruban, s’attachent autour de leur tête et retombent sur leurs joues ; leurs doigts sont chargés d’anneaux, et leurs poignets de bracelets. Souvent vous voyez de très jeunes filles dont le visage est encadré de monnaies d’argent ; pour correspondre avec leur coiffure, une petite toque brodée de piastres turques, aussi serrées que les écailles d’un poisson. J’ai entendu dire que cette toque représentait la dot de la jeune fille. On remarque parfois chez ces campagnardes des types de sauvage beauté ; mais le plus souvent elles sont laides, avec une expression grossière et méchante ; c’est une vraie collection de sorcières qui m’inspiraient plus de terreur que les hommes de la même classe,