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FRÉDÉRIKA BREMER

devant moi. Nous naviguions vers l’est, sur la mer de Syrie, et quel éclat nous environnait ! Je n’ai jamais vu le soleil si flamboyant, le ciel et la mer d’une pareille transparence. Cette dernière était d’un bleu profond, ondulant légèrement ; çà et là de petites vagues, blanches d’écume, montaient, comme autant de lis blancs, des profondeurs infinies. L’air était doux et suave ; les nuages se réunissaient parfois pour glisser vers l’ouest, tandis que la partie orientale de la voûte céleste restait sereine et pure. Tout autour de nous il n’y avait que le ciel et la mer, mais leur beauté calme était incomparable. »

La terre sainte apparaît, et un flot d’émotions envahit l’âme de la voyageuse. « Comme David, dit-elle, je me levai avant le jour pour voir les côtes de la Palestine. Un nuage de feu s’étendait ainsi qu’une arche au-dessus des collines couvertes de palmiers et d’autres arbres verdoyants. Une masse de maisons grises, aux coupoles basses, se groupaient sur une hauteur voisine de la mer, dominées çà et là par un palmier. C’était Jaffa, l’ancienne Joppé, une des plus vieilles cités du monde. Dans le lointain s’élevait une chaîne de montagnes bleu foncé, perpendiculaires comme un mur c’étaient les monts de la Judée. Plus loin, à l’ouest, une autre grande chaîne s’abaissait vers la mer c’était le Carmel. À une plus grande distance encore, dans la même direction et dans l’intérieur des terres, on aperçoit une haute montagne couronnée de neige ; et derrière ce mur de roc, invisible à nos yeux, se trouve Jérusalem. »

Abordant à Jaffa, Mlle Bremer et ses compagnons de voyage louèrent des chevaux pour les porter jusqu’à la cité sainte ; mais ce ne fut pas sans de graves inquiétudes intérieures que la romancière, dont les talents d’équitation étaient médiocres, se vit à la merci d’un coursier jeune et vif. Elle remporta deux victoires en cette occasion une sur elle-même et une sur sa monture, dont elle parvint à maîtriser l’ardeur impatiente.

La petite caravane dont Mlle Bremer faisait partie comprenait une princesse russe, deux boyards et plusieurs Anglais, entre autres un professeur à l’esprit sarcastique, qui possédait le talent de caractériser par un mot piquant, et à la minute opportune, les traits les plus remarquables des mœurs indigènes. Pendant que les autres cheminaient en avant, M. Levison restait à l’arrière-garde, à côté de Mlle Bremer ; ces deux esprits cultivés sentaient entre eux un lien