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LES VOYAGEUSES AU XIXe SIÈCLE

çoivent une telle grêle de confetti, que les vêtements sont poudrés à blanc et tout à fait gâtés ! On peut s’estimer heureux si on arrive à protéger ses yeux, car beaucoup de gens du peuple s’amusent à jeter de la poudre blanche au visage des passants, et si les yeux sont atteints, il peut en résulter de longues souffrances. D’autres fois, vous recevez un grand coup sur la tête par le choc d’un bouquet ou d’un gros gâteau aussi dur qu’une pierre, et tout ce qui arrive ne fait qu’accroître la gaieté et la surexcitation… Une des choses qui m’intéressèrent le plus fut de voir les belles paysannes romaines en grand costume de fête, assises dans des loges ouvertes, au rez-de-chaussée des maisons, recevant avec une résignation stoïque l’averse de bouquets et de confetti sans cesse dirigés vers leurs têtes parées d’or. Des paysannes, vêtues comme elles le sont pour les mariages, leur tête nue parée de rubans rouges et d’énormes bijoux, figuraient également dans les voitures et attiraient beaucoup l’attention.

« Les rues débordaient d’arlequins, de polichinelles et de fous, qui sautaient, dansaient, interpellant les passants, les invitant à boire, feignant d’être ivres et versant la limonade ou l’eau à droite et à gauche ; des foules de danseurs et de joueurs de castagnettes, dans tous les costumes imaginables, souvent en fort mauvais état, battaient du tambour et faisaient la plus horrible cacophonie… Au milieu de cette confusion s’avança enfin un superbe cortège, le gouverneur de la ville et le sénat dans de magnifiques voitures, avec des chevaux splendides et des domestiques en somptueuses livrées ; de tous côtés brillent l’or et l’argent. Ce cortège passe avec une grande dignité à travers la masse mouvante… »

Ce fut dans l’été de 1859 que miss Bremer partit pour l’Orient. Ce voyage devait avoir l’intérêt le plus vif pour une femme aussi profondément religieuse et aussi enthousiaste. Elle passa de longues heures solitaires sur le vaisseau qui l’emportait, et laissa à son imagination libre champ à travers cette mer aux mille souvenirs historiques, la Méditerranée. D’un œil attentif elle suivait les vagues aux crêtes écumeuses, les lumières et les ombres qui se chassaient infatigablement sur cette surface empourprée chaque fois que les nuages ou le soleil y alternaient.

« Les cieux, s’écrie-t-elle, racontent la gloire de Dieu, et le firmament montre l’ouvrage de ses mains ! Les paroles sont impuissantes à décrire la beauté du jour, celle de la scène qui se développait