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MADAME IDA PFEIFFER

pendant la nuit, d’autres enfin pour nous inviter à un banquet pendant lequel nous pourrions, au choix, être égorgés ou empoisonnés. La reine hésitait entre ces divers partis ; mais elle en aurait certainement adopté un si le prince n’était pas intervenu comme notre génie tutélaire. Il protesta fortement contre une sentence de mort, et supplia la reine de ne pas céder aux conseils de la colère, appuyant sur ce fait que les puissances européennes ne laisseraient pas un tel meurtre impuni. Jamais, m’a-t-on dit, le prince n’avait osé exprimer son opinion devant la reine avec tant de force et d’éloquence. Les nouvelles nous parvinrent par quelques rares amis qui nous étaient demeurés fidèles.

« Notre captivité dura près de quinze jours, nous en avions passé treize dans la plus terrible incertitude, nous attendant à tout moment à un arrêt fatal, et tremblant jour et nuit au moindre son. Ce furent des moments pénibles à passer. Un matin, j’étais assise à mon pupitre, je venais de déposer la plume, et je me demandais si depuis le dernier conseil la reine n’avait pas pris une décision, lorsque j’entendis un bruit extraordinaire dans la cour. Je sortis de ma chambre pour voir ce que c’était, quand M. Laborde (un autre des conspirateurs) vint m’informer qu’on allait tenir un autre grand kabar dans la cour du palais, et qu’on réclamait notre présence.

« Nous trouvâmes réunies plus de cent personnes : juges, officiers et dignitaires, assis sur des chaises et des bancs, quelques-uns par terre, et formant un large demi-cercle. Derrière eux, un détachement de soldats était sous les armes. Un des officiers nous assigna nos places en face des juges. Ces derniers étaient enveloppés de grands simbous blancs ; leurs yeux s’attachaient sur nous avec une expression féroce, et ils gardaient un silence de mort. J’avoue que la frayeur me gagna ; je dis tout bas à M. Laborde : « Je crois que notre dernière heure est venue. » Il me répondit : « Je suis prêt à tout. »

Heureusement la balance pencha du côté de la miséricorde ; sept Européens qui se trouvaient à Tananarive reçurent l’ordre d’en partir immédiatement. Trop heureux d’obéir, ils étaient au bout d’une heure sur la route de Tamatave, escortés de soixante-dix soldats malgaches, et ils pouvaient se féliciter d’en être quittes pour si peu ; car, le matin même de leur départ, deux chrétiens furent mis à mort dans les plus horribles tortures.

Le voyage de Tamatave ne fut pas sans danger ni sans difficultés