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LES VOYAGEUSES AU XIXe SIÈCLE

loin, et elle-même comprit qu’elle avait commis une terrible imprudence en se hasardant parmi ce peuple, où chaque jour elle courait risque d’être massacrée. Elle se décida donc à rebrousser chemin ; les sauvages parurent vouloir s’y opposer, comme si l’étrangère qui avait pénétré parmi eux ne devait plus revoir son pays. On forma un cercle autour d’elle ; un Battak fit un discours véhément, et, la saisissant par le bras, lui ordonna de le suivre. Mme Pfeiffer vit pâlir la figure jaune de son guide, qui obtint enfin qu’on leur laissât continuer leur route. Ce fut à marches forcées qu’ils traversèrent les merveilleuses forêts de Sumatra, jusqu’à ce qu’ils fussent rentrés dans la partie de l’île occupée par les Hollandais. Sans son courage extraordinaire et l’énergique dévouement de son guide malais, elle ne serait jamais revenue de cette dangereuse expédition.

Mme Pfeiffer visita également les autres îles des Moluques, et vécut parmi leurs peuplades sauvages ; puis elle s’embarqua pour San-Francisco. Elle passa plusieurs mois en Californie, pays qui s’est transformé depuis cette époque, et où de grandes villes s’élèvent dans les lieux où la voyageuse vit encore des villages indiens. À la fin de l’année elle partit pour Lima, avec le dessein de traverser les Andes et de pousser à l’est, par l’intérieur, jusqu’à la côte brésilienne. Une des fréquentes révolutions du Pérou la força de modifier ce projet ; elle franchit le col de Chimborazo, fut témoin d’une superbe éruption du Cotopaxi, et, satisfaite de cette ascension, elle revint à Guyaquil après avoir couru le plus grand danger en tombant d’une barque dans le Guaya, fleuve rempli d’alligators. Pas un des mariniers ne vint à son secours, et sans un passager elle n’aurait pu regagner le bord. Elle déclare que dans aucune partie du monde elle ne trouva, du reste, si peu de sympathie et si peu de politesse que dans l’Amérique espagnole ; aussi fut-elle très pressée de la quitter, et, traversant l’isthme de Panama, elle se rendit par mer à la Nouvelle-Orléans, vers la fin de mai 1854. De là elle remonta le Mississippi, puis l’Arkansas, et gagna le pays des lacs. Après une courte pointe en Canada, elle repassa la frontière des États-Unis, et de New-York s’embarqua pour l’Angleterre, où elle arriva à la fin de 1854. Le récit de ses aventures parut deux ans après sous le titre : Mon second voyage autour du monde.

On pourrait croire qu’à l’âge de cinquante-neuf ans, et après tant de fatigues, Mme Pfeiffer n’aurait plus demandé qu’à passer en paix