féroce, dont les gestes et les cris ne lui montraient que trop qu’ils la
regardaient comme une ennemie. Ces sauvages avaient six pieds, et
leur laideur naturelle était encore accrue par la rage qui contractait
leurs traits ; leurs grandes bouches aux mâchoires saillantes ressemblaient
à la gueule d’une bête fauve. Mme Pfeiffer domina une
frayeur trop naturelle, et s’assit tranquillement sur une pierre. Les
chefs s’avancèrent, la menaçant, si elle ne retournait pas en arrière,
de la tuer et de la manger ; leurs gestes étaient très clairs, car ils
Habitations flottantes des Dayaks.
lui touchaient la gorge de leurs couteaux et faisaient aller leurs
mâchoires comme s’ils la dévoraient déjà. Elle avait appris quelques
mots de leur langue, et savait que les sauvages sont comme des
enfants ; la moindre chose suffit pour détourner leurs idées. Elle se
leva, et, frappant amicalement sur l’épaule de celui qui était le plus
près d’elle, elle lui dit sur le ton de la plaisanterie, moitié en malais,
moitié en battak : « Vous n’allez pas tuer et manger une femme,
surtout une vieille femme comme moi, dont la chair est dure et
coriace. » Puis elle leur fit comprendre qu’elle n’avait pas peur
d’eux, et qu’elle consentait à renvoyer son guide et à se mettre sous
leur protection. Sa pantomime les désarma en les faisant rire ; son
audace lui conquit leur amitié. Mais elle ne put aller beaucoup plus
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MADAME IDA PFEIFFER