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billements déguenillés comme nos mendiants européens, abrutis par l’ivrognerie et la fainéantise, que ce sont là les petits-fils — bâtards il est vrai — des Iroquois ! Qui le croirait à la vue de leurs sales et chétives cahutes en boue, tristement éparpillées sur une plage fertile, mais infécondée vis à vis, et à deux pas d’une grande ville éblouissante de luxe, toute palpitante d’industrie !

Pénible spectacle ! navrant contraste ! Voilà ce que, sur tout le continent américain, notre civilisation a fait des propriétaires légitimes du sol. Une civilisation généreuse, charitable pourtant que la nôtre, et qui ne prétend marcher qu’armée du code de la légalité ! Quelle thèse pour le philosophe ! Que de réflexions sur l’incertitude de ce que nous regardons comme le droit, de ce que nous jugeons sacro-saint !

Jamais je n’ai traversé la désolée bourgade de Caughnawagha sans que mon cœur ne se serrât douloureusement et que des larmes ne montassent à mes paupières. Au milieu du désert, l’Indien avive en moi le sentiment de la puissance humaine : il me fait plaisir quoique déjà dégénéré, quoique déjà il se soit inoculé la plupart des vices qui déshonorent les blancs, il conserve pour moi encore quelque prestige ; je le vois libre, alerte, hardi dans le danger, et j’oublie volontiers sa malpropreté habituelle, sa paresse imprévoyante, sa duplicité, pour admirer sa patience à toute épreuve, son amour de l’indépendance, sa pénétration, son adresse, sa résistance aux fatigues,