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vague. Puis, tout à coup, son corps frissonna. Une sueur glacée perla à son front. Ce qu’elle regardait, c’était un reptile, un énorme serpent à sonnettes ! ces diamants étincelants, c’étaient ses prunelles !

Roulé sur lui-même, le monstre dardait des regards brillants sur la jeune fille. Elle voulut fermer les paupières pour échapper à cette horrible vision ; elle ne le put. Elle voulut crier ; vain effort, la voix s’arrêta étranglée dans son gosier. Elle voulut se mouvoir, fuir… Ses membres refusèrent de lui obéir.

Affreux enchantement ! atroce sympathie ! cauchemar épouvantable ! réalité mille fois plus épouvantable ! Dans ses oreilles bourdonnait une musique étrange, énervante, soporifère. Elle ne savait ce que signifiait cette musique ; elle demandait à Dieu de la faire mourir avant que le dégoûtant reptile eût achevé son œuvre d’ensorcellement. Il lui semblait déjà sentir le froid de son corps visqueux, lorsque, tout à coup, une ombre noire passa devant elle. Ce fut comme le saut d’une panthère. Les deux étoiles disparurent ; le murmure mélodieux cessa ; le charme satanique était rompu ? Sylveen bondit sur ses pieds, en poussant un cri de joie, auquel répondit, par un grognement de bonne humeur, Calamité, qui broyait entre ses dents le cou du serpent, et le secouait en tous sens, en le faisant claquer comme un fouet.

Encore en proie aux émotions accablantes qui venaient de l’agiter, Sylveen, se prit la tête entre les mains, pour rassembler et coordonner ses idées. Après s’être un peu remise, elle jeta sur le chien un regard chargé de reconnaissance. Calamité avait lâché son ennemi qui se tordait dans les dernières convulsions de l’agonie.

— Noble animal, dit la jeune fille, caressant de sa main la tête du chien qui, dérogeant à ses habitudes, se laissa faire ; noble animal, que ne peux-tu comprendre ma gratitude ?

Calamité agita doucement sa queue en signe d’intelligence, et se mit à marcher à côté de Sylveen qui tâchait de s’orienter pour retourner au camp.

Au bout de quelques minutes, il passa devant, et la fille du guide le suivit, comptant sur son instinct, pour arriver à sa destination. Mais le sol redevint fangeux et mouvant. Sylveen reconnut que cette route était impraticable, car elle enfonçait, à chaque pas, dans une terre marneuse et grasse qui embarrassait tous ses mouvements. Elle s’arrêta. Calamité fit de même. Il la regarda d’un air interrogateur, puis retourna au point de départ. Elle l’accompagna et ils