Page:Chevalier - Les Pieds-Noirs, 1864.djvu/86

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 80 —

Après s’être laissé aller à la surprise, au chagrin et à l’indignation, bien naturels que devait causer ce spectacle, Kenneth poursuivit sa route, en réfléchissant à la conduite qu’il tiendrait vis-à-vis de Le Loup. Il avait résolu de prévenir Sylveen, quand son pied, heurtant un objet à demi caché dans le gazon, il tomba la face en avant, pour se relever avec un tressaillement d’horreur. Les aventures de la nuit n’étaient pas terminées. Iverson avait sous les yeux une effrayante répétition de ce qui, au jour, l’avait fait frémir dans la forêt. Sur le sol, gisait inanimé, le corps d’un Indien, dont le crâne, partagé verticalement en deux, offrait la marque du vengeur insatiable.

— Voici le troisième, se dit Kenneth. Quel ange a donc mission de détruire de cette façon mystérieuse ! C’est probablement un implacable ennemi de la race indienne, glissant de place en place, et abattant les objets de sa haine avec la rapidité de la foudre.

Et Kenneth frissonna de la tête aux pieds.

Passant outre, il arriva près des feux. Le Loup, couché devant la tente de Saül Vander, paraissait plongé dans un profond sommeil. Inutile de dire qu’Iverson ne se laissa point prendre à ce semblant. Bien que harassé par tant de secousses morales et physiques, il continua de veiller jusqu’à ce que la voix de Vander se fît entendre.

Il appelait, un à un, ses hommes et leur commandait, d’un ton bas, de s’apprêter à reprendre la marche.

Ayant touché du doigt Nick, qui rêvait, à ce moment, de sauvages et de « difficultés, » celui-ci sauta sur ses armes et se leva, disposé à combattre.

— Pas de bruit, pas de bruit. Il est l’heure de partir, lui dit Saül. Faites le tour des postes et prévenez les sentinelles. Mais doucement, doucement, vous comprenez.

— Je ne ferai pas plus de bruit qu’une souris, oui bien, je le jure, votre serviteur ! répliqua Nick.

— Dites aux sentinelles de rester à leur place pendant une dizaine de minutes de plus, et de nous rejoindre ensuite aussi vite que possible.

— Certainement, répondit Nick qui se mit en devoir d’exécuter le message.

Kenneth attendit impatiemment son retour. Il arriva comme on achevait de seller les chevaux et bâter les mules.