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CHAPITRE X

Le bivouac


Pendant l’escarmouche, Le Loup avait conservé sa position près de Sylveen, que le guide avait judicieusement laissée à l’arrière, en partie protégée par une ligne de mules qui portaient patiemment leur fardeau. Le Loup n’était pas disposé à causer. Ses regards volaient incessamment du bois à sa maîtresse. Des émotions d’une nature peu ordinaire gonflaient son cœur. Sylveen, toujours encline à l’appréhension, observait son maintien, dont les rapides changements ne lui échappaient pas.

— Le Loup, dit-elle, le sang te bout dans les veines, aujourd’hui. Le cri de guerre des Pieds-noirs te fait-il regretter les bois ?

— Le daim et le buffle sont, répondit-il, faits pour habiter les forêts et les prairies ; pouvez-vous leur enseigner à aimer les villages des blancs, ou à revenir le soir au bercail, comme le cheval ou la vache domestique ? Le loup aime à rôder au dehors, à déchirer sa proie avec ses dents et ses griffes ; pouvez-vous lui enseigner à se mettre à table et à prendre sa nourriture avec un couteau et une fourchette, comme les visages pâles ? Quand il est petit, ajouta-t-il avec des regards flamboyants, il peut lécher votre main ; mais quand il a grandi et quand il sent s’éveiller sa nature et sa force, il mord les doigts qui jouent encore avec lui, en oubliant qu’ils lui ont donné la nourriture.

— Jeune sauvage, reprit Sylveen avec quelque sévérité, je te