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Ce furent les derniers sons échappés de sa bouche. Avec eux il rendit l’âme.

La voix de Saül Vander se fit entendre :

— En avant, mes braves ! Jules Legris a pris une autre route maintenant ; nous le retrouverons, quelqu’un de ces jours, bien campé sous une bonne tente, fumant la pipe du bonheur, et ayant abondance de balles et de poudre sèche. Le Loup, prends soin de mon agneau.

Puis il s’élança à la tête de la troupe, où une vive fusillade était déjà engagée.

Quoique avide de prendre part au combat, Kenneth demeurait auprès de Sylveen. Le bras grêle de Le Loup lui semblait insuffisant à la protéger. En jetant les yeux sur ce garçon, il remarqua qu’il la contemplait avec une vivacité de regards singulière. Kenneth ne lui avait jamais accordé une attention spéciale, mais à ce moment, il fut frappé de la beauté sauvage qui régnait sur les traits du jeune Indien. Son visage enfantin avait quelque chose de fier et de méprisant. Le bruit du combat paraissait l’animer étrangement. Certaines cordes sensibles vibraient avec force dans sa poitrine, car ses lèvres frissonnaient, ses prunelles étincelaient, et l’excitation soulevait son sein. Après l’avoir étudié quelques secondes, Kenneth lui dit, en adoptant le langage figuré dont se servent ordinairement les Indiens :

— Rejeton du loup, tiens-toi près de ta jeune maîtresse, et ne la conduis pas trop près du front de la colonne. Que les yeux veillent bien et que nul ennemi n’approche de l’arrière-garde.

Le Loup enleva le fusil qu’il portait en bandoulière et l’apprêta, sans mot dire.

Il est fidèle comme un chien, dit Sylveen à voix basse en se penchant vers Kenneth, mais il est d’une humeur maussade. Voyez, il vous regarde déjà de travers, car il n’aime pas à être commandé.

Kenneth s’inclina avec grâce, et piquant des deux, vola au premier rang de la troupe. Des coups de feu retentissaient çà et là, et les cris des trappeurs répondaient aux hurlements sauvages d’un ennemi invisible.