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La journée s’écoula lentement. La soif et la faim commencèrent à torturer le malheureux jeune homme. Déterminé à faire tout ce qui dépendait de lui pour échapper à cet horrible dilemme, il chargea et déchargea plusieurs fois sa carabine, à des intervalles réguliers. Vers cinq heures du soir, épuisé de fatigue physique et morale, Kenneth s’accroupit sur la pierre, en se demandant encore s’il ne valait pas mieux en finir d’un seul coup que de périr, après une atroce agonie. Il était enseveli dans un abîme de réflexions lugubres, lorsque les aboiements d’un chien arrivèrent à lui. D’abord, Kenneth craignit d’être le jouet d’une hallucination. Il se mit sur son séant, écouta. Les aboiements continuaient. Haletant, tremblant d’émotion, le jeune homme fit feu de sa carabine et de ses deux pistolets. Les cris du chien partaient du sommet de la montagne et descendaient jusqu’à lui. Une voix d’homme, appelant l’animal succéda à ces aboiements.

— À moi ! à moi ! clama Kenneth.

Mais il ne reçut aucune réponse.

— À moi ! à moi ! répéta-t-il jusqu’à s’égosiller.

Le chien ne cessait d’aboyer.

Assis sur son train de derrière, à la pointe de la falaise, il semblait sourd aux sommations de son maître.

— Ô fidèle ami de l’homme, ne m’abandonne pas, lui cria Kenneth, en s’avançant sur le bord de la saillie pour tâcher de voir le quadrupède.

Inclinant son buste à gauche, il aperçut enfin un chien-loup, aux longs poils fauves, au corps décharné. Mais comprenez, sa joie ! dans ce chien, il reconnut le compagnon de Nick Whiffles. Son cœur palpita si violemment, que, pour ne pas choir, il fut obligé de se cramponner aux angles du roc. La pensée que Nick Whiffles était si près et ignorait son affreuse situation l’accablait. Il n’osait ni s’en rapporter à ses sens ni regarder davantage le chien. Au bout de quelques minutes, un peu remis de ses sensations, il revint à la niche, et renouvela son feu avec une ardeur fébrile.

— Ici ! que diable quêtes-tu là ? fit une voix familière à Kenneth.

Le chien poussa un aboiement plaintif, comme pour dire à son naître que sa présence était nécessaire.

Kenneth avait épuisé toutes ces munitions.

— Qu’y a-t-il ? Allons, Firebug, voyons ce que c’est.