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— Toi ! tu ne vois pas même le rocher, dit Carrier avec dédain et en se retirant à l’orifice de la caverne, où il commença à recharger son arme.

— Ce serait une sottise de rester ici pour se faire tuer, comme un ours sur un arbre, pensa Kenneth, se mettant en devoir de continuer son ascension. Mais, en ce moment, une balle, partie de la carabine de Jean, lui effleura la joue. Cet avertissement du péril n’était pas a négliger. Il redoubla d’énergie, pour arriver au faîte de la falaise.

— Il grouille ! il grouille ! cria Jean ; vite, vite. Carrier !

Ce dernier avait fini de recharger sa carabine. Il accourut en disant :

— Est-ce un morceau de bois, stupide mule ?

Puis s’adressant à Kenneth :

— Entendez raison et descendez, monsieur. Une chute, de l’endroit où vous êtes, vous rendrait méconnaissable à vos amis. Après une pareille dégringolade, pas un coronaire ne serait capable d’établir votre identité.

En manière de réponse, Kenneth fit rouler un morceau de roche, et les voyageurs, craignant d’en être atteints, rentrèrent dans le souterrain.

Mais à peine le projectile était-il arrivé au terme de sa course que Carrier reparut.

— Je vous avertis que je fais feu, cria-t-il.

Kenneth était, pendant ce temps, parvenu à une projection de la roche, en avant de laquelle se dressait un bloc de pierre, tombé sans doute d’une arête supérieure. Il se réfugia derrière, en se ramassant, autant que possible, sur lui-même.

Misérable, murmurait-il, si ton coup m’est fatal, au moins tu n’auras pas le plaisir de me voir mourir.

Carrier chercha une position d’où il pût tirer. Puis, doutant de la fermeté de son bras, il appuya sa carabine sur la roche et attendit qu’une échappée de lumière lui montrât une partie du corps de Kenneth restée à découvert. La profondeur des ténèbres arracha de fréquents jurons au bandit.

Le cœur d’Iverson battait fort. Aussi, sa situation était-elle terrible. Il essaya de se rappeler les nombreuses occasions où il avait bravé la mort et de se fortifier par le souvenir des dangers passés.