Page:Chevalier - Les Pieds-Noirs, 1864.djvu/302

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 296 —

est plus ferme. Il est étonnant que les gueux restent si tranquilles ! Je m’attendais à ce qu’ils pousseraient plus tôt leur cri de guerre. Si vous laissiez là le chien !

La tête de Calamité reposait sur le bras de son maître près de son visage. Il ouvrit ses yeux fatigués et les fixa tendrement sur ceux de Nick. La pauvre bête semblait dire :

— N’est-ce pas que nous ne nous séparerons point ?

Le Corbeau marmottait entre ses dents :

— Montagnes Rocheuses ! quel drôle d’homme c’est ça ! Risquer sa vie pour un chien ! le porter dans ses bras ! a-t-on jamais vu !

Nick suivit Tom en silence. Sa charge était pesante, mais il ne se plaignait pas. Parfois, au contraire, il se sentait heureux de prouver son affection au malheureux animal qui avait partagé sa bonne et mauvaise fortune.

Ils firent ainsi quatre ou cinq milles, sans être inquiétés par ceux qui les poursuivaient. L’espérance rentrait dans le cœur de Whiffles. Il roidissait ses muscles pour ne point ralentir le pas. Tom arpentait rapidement le terrain, mais le trappeur lui rendait enjambée pour enjambée et ne le perdait pas un instant de vue. Des efforts aussi violents ne pouvaient durer longtemps sans produire leur effet naturel. La lassitude finit par s’emparer de Nick. Sa respiration devint saccadée ; il souillait comme un cheval surmené ; le jeu de ses membres se faisait difficile ; sa marche était moins assurée. Ils atteignirent, pourtant, un bas-fond où les arbres étaient plus épais, l’obscurité plus profonde. Le Corbeau s’arrêta.

— Je ne comprends pas ça, Nick Whiffles, dit-il. Il y a quelque chose de louche là dedans. Les Indiens n’ont pas l’habitude de laisser les gens leur échapper, quand ils ont découvert une piste fraîche. Ils nous préparent quelque plat de leur façon. C’est moi qui vous le dis. Pourtant, il y a encore moyen de nous tirer d’affaire sans grand’peine, si vous voulez vous débarrasser de votre chat sauvage. Nous sommes chacun pour nous ici. Vous pour vous ; moi pour moi ; lui pour lui. Qu’est-ce que cela ? J’ai entendu un craquement.

— Allez ! répondit Nick, et s’il vous est impossible de sortir de difficulté en ma compagnie, songez à vous.

— Chut ! Je crois voir une ombre qui rampe, là, à gauche, entre les arbres… voyez-vous ? À terre ! à terre ! Le fléau du Nord-ouest va s’abattre sur un des maudits persécuteurs de la race blanche.