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bois, et Perscilla Jane ne manquerait pas de dire que c’était une honte brûlante ! Houp ! Hourra ! Nous tombons en masse sur vous, infâmes voleurs de whiskey !

Quand Goliath arriva près du bûcher, deux sauvages se roulaient agonisants à terre. D’un coup de feu, il en abattit un troisième, et le quatrième s’enfuit en chancelant. Le détaillant voulait le poursuivre, mais Abram l’en empêcha.

— Point de vengeance, lui dit-il sévèrement et avec un calme étonnant. Puisque l’impie ne résiste pas, laisse-le aller.

Goliath coupa les cordes qui retenaient la captive, en disant :

— Il en reste une demi-douzaine que nous ferons bien d’achever, j’imagine. Ils se sont enivrés avec mon whiskey, et ce ne serait que trop juste de faire un exemple. S’ils n’ont pas de respect pour les marchands de whiskey, au nom du ciel qu’est-ce que les missionnaires pourront faire au milieu d’eux ? Ils les mangeront, m’est avis.

— Ton commerce, ami Goliath, est, comme je te l’ai dit, abominable ; et s’ils t’eussent tué tu n’aurais reçu que ce que tu mérites.

S’adressant ensuite à l’Indienne :

— Jeune fille, te voici en sûreté. Ranime ton courage et viens avec nous. Ne tremble pas et ne me regarde pas d’un air soupçonneux, car je suis ton ami.

— Il est assez probable, capitaine, qu’elle comprendrait aussi bien le grec que ce que vous lui dites. Voyez-moi lui parler en bon indien. J’ai appris ce diable de jargon, de façon à ne compter que sur mon propre fond et à ne pas dépendre d’un interprète.

Il commença à prendre des attitudes fort grotesques, gesticula, grimaça en bredouillant une sorte de dialecte plus dur que celui des Zingari.

La jeune fille le regarda avec surprise et en paraissant plus stupéfaite qu’avant cette remarquable expérience.

Abram se mit en marche après avoir fait un signe qu’elle comprit, car elle le suivit. Goliath Stout continuait ses contorsions.

— Pourquoi tardes-tu ? demanda le quaker avec impatience.

— Ne savez-vous pas, répondit le débitant, que ces serpents ont oublié un gallon ou deux de whiskey, et que ce serait à s’arracher les cheveux que de laisser d’aussi excellente marchandise ? Le commerce est le commerce, voyez-vous, et le whiskey, c’est de l’ar-