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directes aux Indiens, tantôt par des soliloques moitié fâchés, moitié chagrins.

— Engouffrez tout, maudits serpents ! Ah ! mais vous payerez pour ou j’invoquerai la loi contre vous. Pensez-vous que je sois venu de chez nous ici pour vous donner mon whiskey gratis ? Faites du bruit, tas de vauriens ! Si je vous tenais seulement dans un coin des États-Unis, avec un bataillon de carabiniers pour m’appuyer, je vous aurais bien vite appris qui je suis. Vipères, va ! Ils m’ont volé les profits de cette expédition. Y a-t-il donc des gens malhonnêtes ! Mais peut-être ne savent-ils pas qui je suis.

S’adressant alors aux Indiens d’un ton de Mentor :

— Je crois que vous faites une grave erreur, mes braves. Vous ne savez point que je suis Goliath Stout, n’est ce pas ? Vous avez, comme de raison, entendu parler de Goliath Stout, le célèbre marchand de whiskey ?

En réponse à ces questions, un des sauvages n’ayant pas, sans doute, devant les yeux la crainte de Goliath Stout (le fort), s’approcha de l’individu et lui éjecta une gorgée de whiskey à la face. Ce trait excita si fort la colère de notre homme qu’il eut peine à réprimer son ressentiment. Un coup de bâton que son ennemi lui assena sur la tête acheva de l’exaspérer. Goliath essaya de briser ses liens, en se démenant à gauche et à droite, comme un taureau furieux.

— Ah ! c’est donc ainsi que vous servez vos bienfaiteurs ! Jolie manière d’encourager le commerce du whiskey ! Il en viendra d’autres de mon métier vous apporter du whiskey. Oui, qu’ils viennent, s’ils veulent ! Pour moi, ni-ni, c’est fini.

S’arrêtant, Goliath Stout regarda ses persécuteurs avec un souverain mépris.

— Ce serait une belle place pour envoyer des missionnaires, là où on ne respecte pas même la personne sacrée d’un débitant de whiskey, continua-t-il. C’est pourtant de bon vrai whiskey que vous avez là. Je défie bien qu’on en trouve de plus pur sur toute l’étendue et la largeur de la rivière Rouge. Vous voulez de l’eau-de-feu. Je veux être brûlé vif si vous ne l’avez pas. N’y ai-je pas religieusement mis moi-même une partie d’alcool, quatre parties d’eau, cinq parties d’eau-forte, et un soupçon d’acide prussique pour lui donner du goût ? Que je sois pendu si ça n’est pas le cas ! Jour funeste que celui où je me suis mis en route pour gagner honnête-