Page:Chevalier - Les Pieds-Noirs, 1864.djvu/206

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 200 —

conçoit la nature et la douceur de ses émotions en faisant cette découverte.

Tandis que, peu à peu, les facultés du brave trappeur renaissaient, Calamité le conduisait vers la grève à un endroit où l’eau était peu profonde. Lorsqu’ils y arrivèrent, Nick avait reconquis assez de vigueur mentale et physique pour être à même de seconder les efforts de son chien. S’aidant des mains, des pieds et des genoux, il parvint à gagner une roche plate où Calamité se mit à lui lécher le visage, en bondissant et poussant de joyeux aboiements.

La langue de Nick Whiffles n’était pas de celles que le silence tient longtemps enchaînées. Elle était faite pour causer et il le savait bien. Aussi, témoigna-t-il, à sa façon, sa reconnaissance pour la fidélité de son chien.

— Toi et moi avons toujours été comme deux frères, lui dit-il amicalement. Jamais une difficulté sérieuse entre nous. Il est vrai que tu as tes humeurs comme j’ai les miennes. Et à cet égard, il n’y a guère de différence entre la nature chienne et la nature humaine. S’il t’arrive parfois de grogner, j’ai aussi mes heures de bouderie quand les choses ne vont pas à mon gré, ce qui fait que nous sommes à peu près sur le même pied.

Nick s’arrêta et essaya de se soulever. Mais il était trop faible pour accomplir son dessein.

— Ainsi donc, tu m’as trouvé, mon garçon, reprit-il, s’adressant toujours à Calamité. Ah ! monsieur le coureur, où êtes-vous allé le jour de la bataille ? où avez-vous été depuis ? Tu ne peux répondre, je suppose. Si tu le pouvais, il est une autre chose, continua-t-il en frottant ses yeux humides, oui, monsieur, une autre chose que je voudrais pardieu bien savoir : c’est qui t’a envoyé ici ce soir. L’instinct, n’est-ce pas ?

Calamité releva son museau et aboya.

— Oui, poursuivit Nick, c’est l’instinct ; l’instinct si puissant chez les chiens. Tu es une bonne bête, Calamité, et je t’aime. Toi et Firebug, vous êtes merveilleux. Ça me fait penser que je voudrais bien savoir aussi où est cet animal. Si les Indiens l’ont volé, il trouvera bien le moyen de s’arranger, car, pourvu qu’on le laisse faire, il saura se couper sa nourriture aussi proprement qu’une faux le pourrait faire. — Mais comment suis-je tombé à l’eau ? Je jurerais que j’y ai été jeté par ces brigands de Peaux-rouges avec qui