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sa protection. Si ses affections n’eussent déjà été engagées, il est assez probable que la beauté de l’étrangère eût fait sur lui une forte impression. Malgré les périls de leur situation, il désirait vivement connaître son histoire et les circonstances qui avaient déterminé cette singulière rencontre. Sa jeunesse, ses charmes, la mélancolie de son expression, les séductions de sa voix éveillaient de puissantes sympathies. Plus d’une fois, le guide arrêta ses yeux sur elle, en soupirant ; car elle animait, en traits de feu, dans son esprit, le souvenir de Sylveen.

Un heureux hasard leur avait fait trouver une petite anse abritée par des arbres touffus. Le silence et la solitude semblaient les seuls rois de ce lieu. Kenneth, cependant, s’en défiait, car il savait que le silence pouvait être trompeur, et la solitude seulement apparente. Ayant attaché le radeau sous les rameaux d’un chêne, ils se cachèrent au plus épais du fourré et attendirent dans une anxiété presque intolérable l’arrivée de Tom Slocomb. Mais une heure, deux, trois s’écoulèrent sans qu’il parût.

L’inaction devenait trop fatiguante pour que Kenneth la pût supporter davantage.

— Cet homme a évidemment échoué, dit-il à Saül. En voulant trop faire il n’a rien fait. Rester encore c’est gaspiller un temps précieux. Je vais vous laisser un instant et aller à la découverte.

— C’est ce que je ferais, si je le pouvais, dit le guide en secouant douloureusement la tête. Ma longue expérience vous serait fort utile.

— Je ne doute pas de votre habileté, repartit Iverson ; mais soyez persuadé que les qualités dont nous avons maintenant besoin ne me manquent pas tout à fait.

Cela dit, il prit sa carabine et quitta ses compagnons. Bientôt il fut seul au milieu de la forêt, suivi du chien qui trottait légèrement derrière lui. Après avoir marché un demi-mille environ, il se trouva soudain près d’une vaste baie d’où la vue s’étendait sur un espace considérable. Le paysage avait un caractère différent. Sur les rives escarpées se déchiquetaient de petites collines dans les gorges desquelles il était facile de se faire une retraite. Ces falaises, quoique dépourvues d’arbres de grande taille, étaient hérissées de diverses espèces de broussailles. Cette perspective n’était guère encourageante. Kenneth essaya de découvrir Tom Slocomb. Ce fut en vain. On au-